L’établissement

Historique

Dans la première moitié du XIe siècle, un groupe de moines s’installe dans les murs de la ville de Pontoise, autour d’une chapelle dédiée à Saint-Germain. On sait peu de choses de ce premier établissement : le premier acte, un accord sur la contestation d’un don, est daté des environs de 1032. Il faut attendre 1066 pour trouver un nouvel acte concernant la communauté, une donation de dîmes. Le premier abbé connu, aux alentours de 1070, est saint Gautier né vers 1030, mort en 1099. C’est sous son abbatiat que l’abbaye s’accroît peu à peu. En 1080, un dénommé Guiscard donne à la communauté de Saint-Germain l’église Saint-Martin, située hors les murs, sur le plateau, au confluent de l’Oise et de la Viosne, sur l’ancienne route qui reliait Paris à l’ouest. Les moines se transfèrent alors à cet endroit. Jusqu’à la fin du XIe siècle, l’abbaye est désignée par la double dédicace « Saint-Germain-et-Saint-Martin », puis, assez rapidement, le vocable « Saint-Martin » l’emporte.

Les nombreuses donations font de l’abbaye un établissement prospère d’autant qu’elle bénéficie de la situation idéale de la ville de Pontoise, un des principaux points de passages entre Paris et la Normandie : ainsi les droits que l’abbaye perçoit sur la foire Saint-Martin, à partir de 1170, sont-ils fructueux. Saint-Martin est la plus ancienne paroisse de la ville de Pontoise et reste sans doute la plus importante jusqu’au XIIe siècle. Cela s’explique par le fait que l’abbaye a également été le principal point de fixation de la population de Pontoise, après les invasions normandes : autour d’elle s’est constituée la villa Sancti Martini, l’un des trois « quartiers » de Pontoise.

L’abbé Gautier fut canonisé en grande pompe en 1153 (éd. acte n° CXXVIII). Deux Vies de l’abbé avaient été composées dès la fin du XIe siècle, ainsi qu’un Livre des miracles, dont la rédaction court sur plus d’un demi-siècle. Ce dernier relate vingt-huit guérisons miraculeuses, de cas divers de démence, de paralysie, de surdité ou de cécité. Si le pèlerinage au tombeau de saint Gautier rencontra un certain succès, il demeura cantonné à l’échelle locale : vingt miraculés sur vingt-cinq habitent à moins de 30 km de l’abbaye, la plupart proviennent des environs de ses domaines.

Elle bénéficie de la protection royale : le Vexin est donné en 1103 au prince royal, futur Louis VI, qui fait quelques donations à l’abbaye. Il semble que cette situation ait eu aussi ses revers. Confiée à des ecclésiastiques de l’entourage royal à partir de 1179, dont le précepteur de Philippe Auguste, maître Hello, la gestion de l’abbaye et la discipline se détériorèrent tellement que Philippe Auguste décide, en 1196, de la faire passer sous l’autorité de Saint-Denis afin de la faire réformer. Elle reste prieuré de cette dernière jusqu’en 1201, où elle retrouve son indépendance, âprement revendiquée aussi face à l’archevêque de Rouen. Non sans difficultés, elle connaît une incontestable prospérité dans la suite du Moyen Âge.

L’abbaye fut réformée par les Mauristes au milieu du XVIIe siècle, ce qui explique en partie la floraison de travaux érudits sur son histoire. Elle a disparu mais il reste encore un peu de son souvenir dans le parc des expositions Saint-Martin.

Localisation du patrimoine à grands traits

Les biens de l’abbaye étaient tous situés au nord de Paris, une majorité d’entre eux dans le Vexin français. Ici, ils se concentraient à Pontoise et alentours (Osny, Saint-Ouen l’Aumône, Cergy), à Neuilly-en-Vexin, dans la vallée du Sausseron En dehors du Vexin, l’abbaye avait des possessions en Parisis, autour des prieurés de Saint-Leu de Taverny et de Saint-Prix de Tours, en Brie autour des prieurés de Saint-Nicolas de Mortcerf et de Saint-Germain de la Buhotière.

L’ensemble des biens ou, du moins, une grande partie est récapitulée dans un privilège confirmatif du pape Alexandre III (n° CLX). Ils se répartissent principalement entre les diocèses de Beauvais et de Rouen, avec une majorité de biens dans ce dernier diocèse : au milieu du XIIe siècle, on trouve cinq églises appartenant à Saint-Martin dans le diocèse de Beauvais et seize dans celui de Rouen (voir actes n° XCVII et n° CXXII).

À la fin du XIIe siècle, au moment où s’arrête le recueil, l’abbaye de Saint-Martin avait douze prieurés (carte de situation), ici énumérés par date de création ou de première attestation :

- 1080 : Mortcerf (Seine-et-Marne, cant. Rozay-en-Brie), donation de Roger Bourdin (éd. acte n° XI) ;

- vers 1085 : Saint-Prix de Tours (comm. Saint-Prix, Val-d’Oise, cant. Saint-Leu-la-Forêt), donation de Geoffroy le Riche (n° XV) ;

- après 1092 : Saint-Germain de la Buhotière (comm. Vaudoy-en-Brie, Seine-et-Marne, cant. Rozay-en-Brie ; n° XXVII) ;

- 1098 : Marquemont (comm. Monneville, cant. Chaumont-en-Vexin) ;

- 1099 : Saint-Jacques de Belle-Église (Oise, cant. Neuilly-en-Thelle), donation de Lécelin de Belle-Église (n° XXXVII) ;

- vers 1099 : Saint-Quentin de Valmondois (Val-d’Oise, cant. Vallée-du-Sausseron), donation d’Adam de Valmondois (n° CXX) ;

- 1104 : Saint-Germain de Boury-en-Vexin (Oise, cant. Chaumont-en-Vexin), donation d’Eustache et Gaubert de Boury (n° XLVI) ;

- 1121 : Saint-Leu de Taverny (Val-d’Oise, ch.-l. cant.), donation de Fouchard de Montmorency (n° L) ;

- 1123 : Saint-Aubin de Chambly (Oise, cant. Neuilly-en-Thelle), donation de Mathieu Ier, comte de Beaumont-sur-Oise (n° LXIII) ;

- avant 1136 : Saint-Pierre d’Amblainville (Oise, cant. Méru), cité dans une  confirmation de l’archevêque de Rouen (n° XCVI) ;

- vers 1130-1140 : Saint-Georges de Ronquerolles (Val-d’Oise, cant. Beaumont-sur-Oise), donation de Raoul IV Délié ;

- avant 1151 : Rosnel près de Bréançon (Val-d’Oise, cant. Marines ; n° CXXII).

Les donations ayant permis de constituer ce patrimoine ne se répartissent pas également dans le temps. L’abbatiat de Gautier a été la grande période d’expansion du monastère : en moins de 20 ans, cinq prieurés sont créés. Jusqu’en 1170, les dons restent nombreux, ils viennent combler les enclaves dans les possessions de l’abbaye. Vers le milieu du XIIe siècle, les biens de l’abbaye forment un ensemble cohérent dont la physionomie ne se modifiera plus guère.

Réseaux de bienfaiteurs

Une partie des donateurs appartient à cette noblesse d’Ile-de-France liée aux premiers Capétiens (eux-mêmes donateurs sous Philippe Ier et Louis VI), souvent pourvue de charges à la cour – un milieu précisément auquel Joseph Depoin consacra de nombreuses recherches et reconstitutions généalogiques, dont une partie est donnée en appendice au recueil. On peut distinguer parmi eux les différentes branches de la famille Le Riche, originaire de Paris. Elle aurait, pour Depoin, compté dans ses rangs les Bouteillers de Senlis, les comtes de Clermont, les prévôts de Pontoise. Autres donateurs, les comtes de Meulan, qui oscillent entre roi de France et ducs de Normandie et qui, après la conquête de l’Angleterre, ont des biens des deux côtés de la Manche. Mais à côté de ces puissants seigneurs, des familles de moyenne et petite noblesse de la région sont aussi représentées comme les seigneurs de Belle-Église.

Les familles les plus intéressantes pour l’histoire de l’abbaye sont celles des vicomtes de Pontoise, des Banthelu et des seigneurs de Gisors. Les premiers, de la famille des Déliés, branche cadette des comtes de Vexin et de Valois pour Depoin, sont, entre autres, à l’origine du prieuré de Ronquerolles ; Amauri II se fit moine à Saint-Martin avant 1099, et Jean Déliés vers 1102. Les seigneurs de Banthelu (Val-d’Oise, cant. Magny-en-Vexin) sont eux à l’origine du prieuré de Saint-Leu et leurs dons sont très nombreux. L’église de Banthelu fut donnée à Saint-Martin alors qu’un des membres de la famille y était moine (n° IX) ; Reine de Banthelu, à sa mort, légua un tiers de ses biens à l’abbaye (milieu du XIIe siècle). La famille des Gisors, implantée dans le Vexin normand mais possessionnée sur les bords de la Viosne, est sans doute la plus importante bienfaitrice de l’abbaye, notamment en la personne de Thibaud II. Celui-ci, comme son père Thibaud Payen, comme son frère Hugues II, mourut à Saint-Martin après avoir revêtu l’habit, et Marguerite de Gisors, mère d’Enguerrand de Trie, fut enterrée à Saint-Martin en 1147 (n° CII).