L’établissement

Historique

Le prieuré de Saint-Leu d’Esserent est un ancien prieuré clunisien situé sur les bords de l’Oise, à une dizaine de kilomètres de Senlis. Ce fut l’un des plus gros prieurés de Cluny.

En 1081, le comte Hugues de Dammartin donne à l’évêque de Beauvais Guy les biens qu’il possède à Esserent dont la chapelle Saint-Nicolas qu’il avait fait édifiée ; l’évêque remet alors ces biens à Cluny qui y fonde un prieuré. Cette chapelle devint ainsi l’abbatiale d’un prieuré dépendant de Cluny, sous le vocable de Saint-Leu (variante de saint Loup, évêque de Sens). L’original de la charte de fondation du prieuré est encore conservé aux Archives départementales de l’Oise (H 2431). Les donateurs n’avaient pas de rapport privilégiés avec Cluny, cette donation entre plutôt dans une stratégie territoriale et familiale locale. En effet, le prieuré est implanté aux frontières du domaine royal, importante zone de conflits entre des seigneurs d’Ile-de-France qui tentent chacun de tenir sous leur coupe les établissements ecclésiastiques pour s’assurer le contrôle d’un territoire. D’ailleurs, l’implantation clunisienne antérieure est très faible dans la région : Saint-Arnoul de Crépy-en-Valois est la seule fondation clunisienne d’importance, l’influence clunisienne ne peut donc justifier à elle seule la fondation de ce prieuré.

À l’époque, l’église du prieuré n’est qu’un petit édifice construit par le comte de Dammartin sur un alleu pour affirmer son pouvoir sur le territoire d’Hescerent (ancienne forme du toponyme). Lors de la donation, les moines avaient donc été contraints de s’installer à proximité de cette église, c’est-à-dire dans l’enclos comtal qui la jouxtait avec pour conséquence une subordination étroite à la famille des Dammartin. Cette dernière fit d’ailleurs du prieuré sa nécropole familiale.

Jusqu’au milieu du XIIe siècle, le prieuré accroît son patrimoine foncier local de manière importante grâce aux Dammartin, puis dans la seconde moitié du XIIe siècle grâce aux comtes de Clermont, qui succèdent aux Dammartin comme famille dominante dans la région. Après avoir assis leur patrimoine foncier, les moines clunisiens se lancent dans une grande opération d’extension de leurs bâtiments. Dès 1140 en effet, un projet d’agrandissement voit le jour avec la construction d’un massif occidental sur l’abbatiale romane. Le nouveau chœur est réalisé entre 1160 et 1170 et la nouvelle nef entre 1190 et 1210, grâce aux dons qui affluent.

Du point de vue spirituel, le prieuré semble avoir eu une relative importance. Il fut notamment un point d’appui incontestable pour les évêques de Beauvais dans la mise en place tardive de la réforme grégorienne. Le succès du prieuré se traduit par un certain nombre de conversions monastiques dont on garde des traces dans le cartulaire. Il semble également que Saint-Leu ait été un lieu de pèlerinage assez fréquenté au XIIe siècle.

À son apogée à la fin du XIIIe siècle, le prieuré compte jusqu’à trente-quatre moines clunisiens et une centaine de frères convers, mais il est mis à sac plusieurs fois pendant la Guerre de Cent Ans (1359 et 1436) et son patrimoine foncier ne s’étend plus.

En 1536, le prieuré passe sous le régime de la commende. Le prieuré se dégrade alors lentement jusqu’aux réparations du XVIIe siècle. Il n’y a alors plus que huit moines. De nouveau au XVIIIe siècle, la situation du prieuré se dégrade. L’église prieurale nous est malgré tout parvenue intacte. Elle fut classée aux Monuments Historiques en 1840 ainsi que l’ensemble des vestiges su prieuré en 1862. Des restaurations furent entreprises par des élèves de Viollet-le-Duc.

Localisation du patrimoine

Historique de l’extension foncière

Dans les deux à trois décennies qui suivent la donation, les possessions du prieuré se développent d’abord autour de deux pôles : à Hescerent même et autour du fief d’Hescerent (Boissy, Montataire, Cramoisy), et sur les terres des Dammartin (Ermenouville, Bulles) c’est-à-dire à 20 ou 30 km du prieuré.

Puis, jusque vers 1150, l’accroissement du patrimoine foncier continue de manière importante autour d’Hescerent (Précy, Villers-sous-Saint-Leu, Trossy aujourd’hui Saint-Maximin, Gouvieux), dans un rayon de 5 km tout au plus ainsi que sur les terres des Dammartin (Eve, Orcheu). L’arrivée des Clermont comme grande famille seigneuriale de la région et comme bienfaitrice du prieuré donne une nouvelle dimension à l’assise foncière des moines. En effet, grâce aux donations des Clermont, le prieuré renforce considérablement sa position dans le Beauvaisis dans un rayon de 20km. Les donations de cette famille s’articulent autour de trois pôles : Hescerent, Clermont (Cauvigny, Cauffry, Avrigny, La Rue Saint Pierre) et Thorigny-sur-Marne.

La fin de l’expansion du prieuré se situe au XIIIe siècle.

Le prieuré possède donc une solide assise foncière localement ; en revanche il dispose de peu de possessions lointaines (dépassant les 30 km).

Localisation du patrimoine

Voici un état des possessions, recensées à partir du cartulaire, c’est-à-dire pour la période du XIe au XVIe siècle. Sont signalées, après la localisation, les dates de donation ou d’acquisition mentionnées par le cartulaire quand les chartes les donnent. De même, on a précisé, dans la mesure du possible, s’il s’agissait de dîmes. Cet état des possessions illustre les propos précédents sur l’histoire de l’expansion foncière du prieuré.

Comme on l’a vu, la majorité des possessions se situe dans une zone proche du prieuré (dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres environ), correspondant au département de l’Oise actuelle, et plus particulièrement aux arrondissements actuels de Senlis et de Clermont, c’est-à-dire la partie centrale du département avec une modeste extension vers le sud-est. Le reste des possessions (en réalité assez peu nombreuses) est largement dispersé sur les arrondissements de Compiègne au nord-est et de Beauvais à l’ouest.

Département de l’Oise

Arrondissement de Senlis

Barbery, Oise, arr. Senlis, cant. Senlis (dîme)

Blaincourt, Oise, arr. Senlis, cant. Montataire (censives et dîme)

Chaalis, Oise, arr. Senlis, cant. Nanteuil-le-Haudoin, comm. Fontaine-Chaâlis (dîme)

Chantilly, Oise, arr. Senlis, ch.-l .cant.

Cramoisy, Oise, arr. Senlis, cant. Montataire (s.d. ; 1153)

Creil, Oise, arr. Senlis, ch.-l. cant.

Ermenonville, Oise, arr. Senlis, cant. Nanteuil-le-Haudoin

Esserent, Oise, arr. Senlis, cant. Montataire (donation initiale par le comte de Dammartin ; 1107 ; 1136 ; 1138 ; 1153 ; 1230)

Eve, Oise, arr. Senlis, cant. Nanteuil (1117)

Forêt de Chantilly (Bois de la Sagatte)

Forêt de Halatte, Oise, arr. Senlis, cant. Senlis, com. Senlis (Bois Josbert, 1234 ; bois, 1326)

Gouvieux, Oise, arr. Senlis, cant. Chantilly

Mesnil-Saint-Denis, Oise, arr. Senlis, cant. Neuilly-en-Thelle (dîme, 1236)

Montataire, dép. Oise, arr. Senlis, ch.-l. cant. (1107 ; 1157-1160 ; 1257/58)

Morancy, Oise, arr. Senlis, cant. Neuilly-en-Thelle (1258)

Précy, Oise, arr. Senlis, cant. Montataire

Saint-Leu, Oise, arr. Senlis, cant. Montataire (1251 ; 1263)

Saint-Maximin, Oise, arr. Senlis, cant. Chantilly (1538)

Thiverny, Oise, arr. Senlis, cant. Montataire

Trossy, actuellement Saint-Maximin, dép. Oise, arr. Senlis, cant. Chantilly (1119 au plus tard)

Villers-Saint-Paul, Oise, arr. Senlis, cant. Creil (1259)

Villers-sous-Saint-Leu, Oise, arr. Senlis, cant. Montataire

Arrondissement de Clermont

Ageux (Les), Oise, arr. Clermont, cant. Liancourt

Angy, Oise, arr. Clermont, cant. Mouy

Avrigny, Oise, arr. Clermont, cant. Clermont (dîme, 1144 ; dîme, 1247)

Brenouilles, Oise, arr. Clermont, cant. Liancourt (grosse dîme)

Bucamps, Oise, arr. Clermont, cant. Froissy

Bulles, Oise, arr. Clermont, cant. Clermont

Cauffry, Oise, arr. Clermont, cant. Liancourt (dîme et église, 1144)

Cinqueux, Oise, arr. Clermont, cant. Liancourt (censives et grosse dîme ; 1299)

Clermont, Oise, ch.-l. arr. (dîme 1237)

Ferrières, Oise, arr. Clermont, cant. Maignelay

Mérard, Oise, arr. Clermont, cant. Mouy, comm. Bury

Monceaux, Oise, arr. Clermont, cant. Liancourt

Rieux, Oise, arr. Clermont, cant. Liancourt

Rue-Saint-Pierre (la), Oise, arr. Clermont, cant. Clermont (c. 1136)

Sacy, Oise, arr. Clermont, cant. Liancourt

Saint-Aubin, Oise, arr. Clermont, cant. Clermont (1225 ; 1231 ; 1236)

Arrondissement de Compiègne

Breuil, Oise, arr. Compiègne, cant. Attichy, comm. Trosly-Breuil

Fresneel, Oise, arr. Compiègne, cant. D’Estrées-Saint-Denis, comm. Francières (c. 1200)

Arrondissement de Beauvais

Boissy, Oise, arr. Beauvais, cant. Marseille en Beauvaisis, comm. Roy-Boissy

Cauvigny, Oise, arr. Beauvais, cant. Noailles (1144)

Département de la Somme

Les possessions du prieuré dans ce département se concentrent toutes dans l’arrondissement de Montdidier, qui est limitrophe au sud avec le département de l’Oise, donc encore tout proche de la zone d’influence du prieuré.

Arrondissement de Montdidier

Ailly-sur-Noye, Somme, arr. Montdidier, ch.-l. cant. (dîme, 1193, 1202)

Andechy, Somme, arr. Montdidier, cant. Montdidier

Fignières, Somme, arr. Montdidier, cant. Montdidier

Moreuil, Somme, arr. Montdidier, ch.-l. cant.

Département de la Seine-et-Marne, du Val d’Oise et de l’Eure

L’extension maximale du prieuré est peu importante en témoignent les rares possessions situées dans des départements autres que l’Oise et la Somme, et assez faiblement distantes du prieuré (moins de 100 km).

Dammartin, Seine-et-Marne, arr. Meaux, ch.-l. cant. (1081 ; 1104 ; 1107 au plus tôt)

Orcheu, Seine et Marne, hameau disparu près de Dammartin (c. 1135 ; 1240)

Champagne, Val d’Oise, arr. Pontoise, cant. Beaumont-sur-Oise  (le prieuré est propriétaire du village depuis au moins 1137, mais nouvelle donation en 1154)

Forêt de Carnelles, Val d’Oise, communes actuelles de Nointel, Asnières-sur-Oise, Saint-Martin-du-Tertre, Presles, Beaumont-sur-Oise et Noisy-sur-Oise

Noisy-sur-Oise, Val d’Oise, arr. Sarcelles, cant. Luzarches

Viarmes, Val d’Oise, arr. Sarcelles, cant. Luzarches

Gisors, Eure, arr. Les Andelys, ch.-l.cant. (1368)

Réseaux de bienfaiteurs

On trouve d’abord quelques grandes familles puissantes d’Ile-de-France qui sont de généreux donateurs sur plusieurs générations tels les Dammartin (20% des donations au XIIe siècle), fondateurs du prieuré et les Clermont (25% des donations à la même période). La transition entre les deux familles s’effectue aux alentours de 1120, le prieuré passant de la domination de l’une à l’autre, c’est aussi une garantie de protection pour lui au milieu des toutes les guerres intestines que se livrent les seigneurs d’Ile-de-France. Quelques autres familles illustres de la région font également partie des bienfaiteurs :

Parmi les autres bienfaiteurs, la plupart sont des nobles locaux, petits seigneurs ou chevaliers, souvent vassaux des familles citées précédemment, tels les Breuil et les Bulles, vassaux des Dammartin. Ces châtelains représentent 34% des donations au XIIᵉ siècle d’après le cartulaire. On attribue à la seule famille des Breuil ou à leurs proches 14% de ces donations. Plus on descend dans l’échelle sociale, plus la masse de ces donateurs devient difficile à déterminer car la plupart des petits nobles et chevaliers mentionnés par le cartulaire sont difficilement identifiables. Toutefois, on mentionne parfois pour ces petits seigneurs une fonction curiale ou une alliance prestigieuse, en voici quelques exemples :

La famille royale elle-même n’est pas absente de ces donations. Philippe de France, dit « Hurepel », comte de Clermont, fils naturel de Philippe-Auguste et d’Agnès de Méranie, marié à Mahaut de Boulogne, octroie une rente au prieuré tandis que sa fille, Jeanne, fait des donations de biens. Charles le Bel lui-même octroie aux moines le droit de prélever du bois dans la forêt de Halatte.

Quelques clercs ou grands prélats s’illustrent également par leur libéralité :

Enfin très minoritaires, on voit apparaître au XIIIe siècle, parmi les donateurs, quelques bourgeois : Evrard de la Tour, bourgeois de Clermont et Perenelle, veuve de Jacques Ferecoq, bourgeois de Beaumont.

Ces catégories ne donnent qu’un aperçu de ce que pouvait être le réseau des donateurs car le cartulaire est peut-être lacunaire. En revanche, il permet d’apprécier les liens et alliances entre toutes les grandes familles locales bienfaitrices du prieuré et laisse apparaître un cercle restreint de bienfaiteurs gravitant autour Saint-Leu d’Esserent voire autour d’autres établissements religieux de la région.