Robert d’Arbrissel, entre philologie et histoire » Jacques Berlioz. Conclusions

Jacques Berlioz. Conclusions

Il faut noter pour commencer la pertinence de la tenue d’une rencontre à la sortie du monumental ouvrage : Les deux vies de Robert d’Arbrissel. Une rencontre qui n’apporte pas que des fleurs, mais de saines critiques, constructives, montrant que l’ouvrage fait débat (il est donc intéressant !) et fait exemple (il fonde un genre, et donc étonne).

L’ouvrage, en effet, fonde un genre. Certes inauguré par Jacques Dalarun seul (un dernier ouvrage consacré à une vie redécouverte, ou plutôt réattribuée et mise dans son contexte, de saint François1), ou par son équipe (le cédérom sur la « lettre volée2 »).

Le genre est celui d’une « enquête érudite » dont les éléments sont fournis au lecteur, qui se voit alors promu au rôle d’acteur de l’ouvrage. Celui-ci tire finalement moins vers les auteurs que vers le récepteur ! Faut-il voir dans cette nouvelle écriture de l’érudition une méthode, ou un modèle d’exposition, disons littéraire ?

Les deux en fait ! Privilégier, dans le résultat final, le livre, dont il faut souligner la grande qualité (mais qui ne surprend pas, s’agissant des éditions Brepols et de Luc Jocqué), l’exposition pas à pas, analyse codicologique par analyse codicologique, manuscrit par manuscrit, renvoie précisément à une méthode d’analyse qui tend à privilégier le rôle de la tradition manuscrite dans l’approche historique (même si l’histoire éclaire et doit éclairer cette tradition même.

Il n’y a donc pas de volonté pédagogique (où un ensemble complexe d’éléments complexes est sensé être « simplifié » à l’usage des illiterati), mais connexion entre méthode de recherche et écriture finale.

Ce genre, qui fait de l’ouvrage la transcription des « works in progress », a ses vertus :

- il montre à voir, sans fard, une méthode de travail ;

- il est par là exemplaire : il ne cache pas les difficultés, il pointe les apories ;

- il ouvre à la réplique, à la reproduction par les étudiants, à la contestation par les savants.

Il a aussi ses limites :

- il demande de la place, des pages, se pèse en kilogrammes ;

- il est forcément reconstruction, Jacques Dalarun l’a dit, même si cette reconstruction est foncièrement honnête.

Sans vouloir la généraliser, je pense que ce genre, que ce type d’ouvrage doit baliser la recherche, marquer de grandes étapes épistémologiques, s’inscrire moins comme un canon (à reproduire systématiquement) que comme un magnifique manifeste (un manifeste du Parti des érudits conquérants et fiers de l’être).

Ce livre, cet effort, réunit codicologie, philologie et histoire. Par le titre de la rencontre, nous avons : « Robert d’Arbrissel entre philologie et histoire. De fait, et il est finalement important qu’une rencontre pulvérise le titre sous lequel elle a été placée (cela prouve sa raison d’être, combative et critique), nous avons assisté à Robert d’Arbrissel par la codicologie, la philologie et l’histoire.

Sans oublier aussi (c’est l’ancien archiviste départemental qui parle) la diplomatique qui enseigne la vertu des copies modernes de chartes, qui peuvent être « utiles » ou « inutiles ». Que serait désormais Robert sans l’invention par Jacques Dalarun d’une copie si « utile » ?

La rencontre d’aujourd’hui a permis aussi de briser bien des lieux communs :

- de « réhabiliter » (Pascale Bourgain) des poètes jugés communs, en les restituant dans une histoire littéraire renouvelée. Là encore, l’histoire joue à plein un rôle de révélateur, de facteur de hiérarchisation de données. Les figures secondaires n’ont pas à être méprisées ;

- de « condamner », précisément pour abus textuel (de topoi), un poète du calibre de Baudri de Bourgueil.

Les discussions du matin ont permis de relancer le débat : « obitus » ou pas « obitus » ? Robert violent ou doux ? Ou pour finir un violent qui se fait douceur, en s’autoproclamant (l’expression fait florès de nos jours) un homme mesuré, mais en le faisant avec excès… ?

- Et ces discussions intervenaient après des communications qui invitaient aux débats : André Vauchez ouvrant délibérément au comparatisme, provoquant ainsi l’auditoire à réagir.

François Dolbeau a parlé du « mystère » qui règne encore sur bien des aspects des sources de la vie de robert. Mais contrairement à ce qui se passe dans un roman célèbre, la chambre du crime n’est pas fermée de l’intérieur ! Les auteurs nous offrent des clés. À nous toutes et tous de trouver des serrures, et d’ouvrir grand les portes de la codicologie, de la philologie… et de l’histoire.

Jacques Berlioz
Directeur de recherche au CNRS
Groupe d'anthropologie historique de l'Occident médiéval
Centre de recherches historiques (EHESS-CNRS), Paris


1 Jacques Dalarun, Vers une résolution de la question franciscaine. La légende ombrienne de Thomas de Celano, Paris, 2007.
2 La lettre volée. Le manuscrit 193 de la bibliothèque municipale de Vendôme, dir. Jacques Dalarun, Paris, IRHT, 2003 (Ædilis, publications scientifiques, 1), en ligne à l’adresse suivante : http://lettrevolee.irht.cnrs.fr