Robert d’Arbrissel, entre philologie et histoire » Constant J. Mews. Robert d’Arbrissel, Roscelin et Abélard

Constant J. Mews. Robert d’Arbrissel, Roscelin et Abélard

Robert d’Arbrissel († 25 février 1116) et Pierre Abélard (1079-1142) ont tous deux causé du scandale en raison de leur amitié pour deux religieuses remarquables : Hersende, fondatrice effective et magistra de Fontevraud († 30 novembre ca. 1113) et Héloïse (ca. 1095-1163), première abbesse du Paraclet1. Robert et Abélard ont tous deux été accusés par Roscelin de Compiègne de transgresser les frontières entre sexes qui définissaient traditionnellement les rapports entre religieux. La magnifique édition, donnée par Jacques Dalarun et son équipe, de tous les textes connus liés à Robert est d’une telle exhaustivité qu’il peut sembler de prime abord qu’il n’y ait guère à ajouter.2 Mon but ici est de me concentrer, non tant sur la personnalité de Robert, que sur les critiques que lui adressa Roscelin de Compiègne (ca. 1050 - ca. 1125) et sur son impact sur Abélard. Jacques Dalarun a déjà soulevé la question des relations entre la règle d’Abélard pour le Paraclet et les premiers statuts de Fontevraud3. J’aimerais prolonger ce point en suggérant que la prédication de Robert et sa réputation controversée peuvent nous aider à comprendre la critique nourrie que fait Abélard de l’hypocrisie religieuse. Je propose aussi de montrer que l’intervention de Roscelin contre Robert d’Arbrissel est liée à un conflit important entre Saint-Martin de Tours et Fontevraud, qui éclata en 1116/17, après la mort de Bertrade de Montfort, reine de France. Cette intervention a poussé Abélard à réagir avec passion contre son ancien maître dans les années 1117-1120.

Le Contra Robertum de Roscelin de Compiègne

La seule référence nominale d’Abélard à Robert d’Arbrissel se trouve dans la lettre envoyée à l’évêque de Paris Gilbert, un peu avant le concile de Soissons tenu en mars-avril 1121 : « Cet homme a osé écrire une lettre insolente contre ce remarquable héraut du Christ, Robert d’Arbrissel, et a calomnié si vivement le grand docteur de l’Église, l’archevêque Anselme de Cantorbéry que, sur ordre du roi d’Angleterre, il a été chassé d’Angleterre pour son effronterie infamante et a réussi à grand peine à sauver sa vie »4. La découverte faite par François Dolbeau dans le catalogue d’une bibliothèque normande de la référence à un Roscelinus contra Robertum liber I montre que ce qu’Abélard décrivait comme une lettre devait être un traité significatif, méritant d’être décrit comme un livre5. Abélard devait déjà connaître le contra Robertum quand il écrivit aux chanoines de Saint-Martin de Tours, en critiquant Roscelin pour avoir attaqué Robert et saint Anselme. Cela poussa Roscelin à accuser Abélard d’avoir oublié ce qu’il avait appris de son maître « depuis son enfance jusqu’à son jeune âge »6. Abélard avait voyagé le long de la vallée de Loire pour poursuivre ses études sous la direction de Roscelin à Loches, au palais du comte Foulque IV, vers 1093/94, alors que Roscelin y avait trouvé depuis peu protection après avoir été chassé d’Angleterre. Roscelin quitta Loches par la suite pour le centre scolaire plus important de Tours, peut-être en emmenant avec lui Abélard à la fin des années 1090. Abélard évite de mentionner ses premières études dans l’Historia calamitatum, en disant seulement qu’il « parcourut différentes provinces en disputant ». Cette expression imite peut-être consciemment celle qu’évoque Baudri pour décrire le voyage de Robert à Paris dans les années 10807. Cependant il n’existe pas de raison de mettre en doute la réputation de Roscelin : c’est une figure respectée aussi bien à Tours qu’à Loches, « où tu était assis si longtemps à mes pieds, comme le dernier des disciples de ton maître »8. Roscelin et Hildebert de Lavardin (1055-1133), évêque du Mans de 1096 à 1125, signent tous deux une charte de Saint-Martin de Tours au début du xiie siècle. On peut donc émettre l’hypothèse qu’Hildebert a aidé Abélard à se familiariser avec la littérature classique et même qu’il l’a aidé à étudier à Paris sous la direction de son ami Guillaume de Champeaux9. Les références que fait Guillaume à Angers et à Tours dans ses commentaires de rhétorique suggèrent qu’il a pu voyager dans la vallée de la Loire, peut-être pendant la visite du pape Urbain II à ces villes en 109610.

La présence, dans un manuscrit ancien, de sentences théologiques d’Anselme de Laon et de Guillaume de Champeaux à côté de la lettre de Marbode à Robert d’Arbrissel montre que la critique que fait Marbode de Robert aussi bien que les lettres d’Hildebert de Lavardin étaient appréciées de l’école de Laon11.

Le fait qu’Abélard défende Robert est d’autant plus digne d’attention que cela est très inhabituel au xiie siècle. Bien que cinq témoins du xiie siècle de la lettre de Marbode à Robert survivent, le libellus renfermant les vies de Baudri, André et les premiers statuts n’est pas connu avant la traduction de Boudet en 1510. Comme Jacques Dalarun me l’a fait remarquer, la seule trace de la version longue originale du libellus, hormis la traduction de Boudet et l’adaptation de Magistri, est un manuscrit dont on sait qu’il appartenait à Saint-Denis en 163512. On ne sait si Boudet a trouvé la version à Saint-Denis, à Fontevraud ou dans son propre prieuré de Fontaines, fondé en 1124 par Burchard, évêque de Meaux, un ami d’Abélard13.

Cependant, étant donné qu’Abélard semble avoir connu la vie de Robert dont la circulation est faible ainsi que les premiers statuts de Fontevraud (selon l’argument de Dalarun), il a pu acquérir une copie à Saint-Denis en 1119-1120. Cela a pu se faire après leur rédaction et au moment où il se querellait avec Roscelin à propos de la réputation de Robert. La polémique durable de Roscelin contre Robert pendant ces années a sans doute contribué à la diminution consécutive du libellus original.

On peut trouver la substance des critiques adressées par Roscelin à Robert d’Arbrissel dans la lettre écrite à Abélard. Elle est transmise par un seul manuscrit (München, Staatsbibl., Clm 4600) qui contient également deux courts traités théologiques certainement dus à Roscelin. Le premier est une discussion sur la Trinité où Roscelin défend la thèse selon laquelle les trois personnes peuvent être appelées trois choses14. Le second compare Jean et Pierre pour savoir lequel de deux a le plus aimé le Christ. Il est inspiré par Augustin qui a traité le même thème dans ses homélies sur Jean. L’analyse que fait Roscelin dans sa lettre des arguments et des situations n’est en rien mesquine, même s’il se montre caustique. Bien que ses commentaires sur Abélard soient souvent partisans, ils fournissent de précieux renseignements parfois inconnus de toutes les autres sources. Il affirme n’avoir jamais persécuté Anselme de Canterbury ou Robert d’Arbrissel et reconnaît leur bon caractère, mais insiste sur le fait que leurs mérites ne dépassent pas ceux de l’apôtre Pierre ou de Cyprien de Carthage dont, par la suite, l’Église catholique a corrigé les opinions15.

Roscelin écrit alors : « en fait, j’ai vu le seigneur Robert recevoir des femmes qui avaient fui leur mari même lorsque ce denier réclamait leur retour, et comme l’évêque d’Angers lui avait ordonné de laisser partir ces femmes, il refusa avec obstination et les garda dans la désobéissance jusqu’à la mort. Vois comme cela est contraire à la raison. Car si une femme refuse le dû conjugal à son mari et qu’elle le force pour cette raison à l’adultère, celle qui force commet une plus grande faute que celui qui agit. La femme abandonnant son mari qui péche ensuite par nécessité est donc coupable d’adultère. Comment celui [i. e. Robert] qui la garde et la nourrit ne sera donc t-il pas coupable et complice du même crime ? Car elle n’aurait pas fait cela [i. e. abandonner son mari), si elle n’avait [d’abord] trouvé quelqu’un pour la garder »16. À la fin de son argumentation sur la culpabilité de Robert qui autoriserait un mari à pécher, Roscelin cite des passages d’Augustin où est expliquée la manière dont Dieu impute le péché au mari si la femme péche et d’autres de Grégoire sur la nécessité pour le mari et la femme d’entrer en même temps au monastère, position retenue plus tard par Gratien17. Roscelin repète les accusations qu’il avait déjà portées contre Robert, dans le but de défendre sa propre réputation, en affirmant qu’il est traité avec respect « jusque dans Rome elle-même », ce qui est sans doute une allusion à sa rencontre avec le pape Urbain II lors de sa visite en France18. Roscelin se montre inhabituellement bien informé sur la manière dont Abélard a abusé de la confiance de Fulbert et dont il a transgressé les limites entre sexes ainsi Robert d’Arbrissel a fait.

Abélard ne dit pas explicitement à qui Roscelin a écrit sa lettre contra Robertum. Est-ce que cette lettre renfermait des ragots personnels et malveillants provenant de Fulbert après que le scandale a éclaté à Paris, probablement dans la première moitié de 1117 ? En tout cas, la lettre a poussé Abélard à répondre aux chanoines de Tours, en mêlant des invectives personnelles à un argumentaire théologique. Cela incita en retour Roscelin à écrire sa lettre polémique à Abélard qui répondit à nouveau avec la première version de son traité sur la Trinité.

Roscelin et Marbode de Rennes

Qu’est-ce qui a poussé Roscelin à critiquer Robert d’Arbrissel ? Ses remarques sur la manière dont Robert recevait en religion des femmes contre la volonté de leurs maris et l’instruction explicite de l’évêque d’Angers, soulèvent une question d’importance. Dominique Poirel l’aborde dans le volume quand il se demande à quel évêque il est fait référence19. L’abbaye de Fontevraud est située dans le diocèse de Poitiers et non dans celui d’Angers. De plus, Renaud de Martigné, qui devint évêque d’Angers (1101-1124) seulement après avoir évincé le précédent évêque Geoffroy de Mayenne (1093-1101), était disposé favorablement envers Fontevraud. Il semble plus logique de supposer que Roscelin fait référence à Geoffroy plutôt qu’à Renaud20. Marbode, archidiacre d’Angers depuis 1069, continue de tenir cette fonction même après être devenu évêque de Rennes en 1096 grâce au soutien de Foulque IV, n’arrêtant qu’en 110121. La manière dont Renaud a chassé Geoffroy du siège d’Angers est critiquée par Hildebert de Lavardin car il a mobilisé des « élements populaires », ainsi que par Geoffroy de Vendôme car il a bénéficié du soutien d’une « certaine comédienne (mima) et femme publique »22. L’opposition de Marbode à Robert d’Arbrissel en 1098 évoque clairement son hostilité à la prédication de Robert contre les ecclésiastiques âgés, tel Geoffroy de Mayenne. Robert critiquait non seulement « les clercs ordonnés, mais même ceux ayant des offices élevés, ce qui ne convient pas, et tu les critiques avec excès »23. Robert s’opposait à la corruption ecclésiastique dans le diocèse d’Angers pendant l’épiscopat de Geoffroy. Au même moment, Hersende, veuve de Guillaume de Montsoreau et sœur d’un éminent noble angevin, échappait à la juridiction de Geoffroy de Mayenne et de Marbode en devenant conversa de Robert de Fontevraud. Cela permettait à Robert de s’établir à Fontevraud, hors du diocèse d’Angers, sur un domaine donné par le beau-fils d’Hersende, Gautier de Montsoreau. Comme Belle Tuten l’a bien montré, Fontevraud a rapidement bénéficié du soutien d’Hersende de Montsoreau, surtout de celui de Bertrade de Montfort, qui devient moniale à Fontevraud en 1108 et de son fils le jeune Foulque V qui devient comte d’Anjou en 1109 à la mort de Foulque IV24. Un soutien si puissant empêcha Robert d’être accusé d’hérésie comme ce fut le cas pour un prédicateur comme Henri, actif au Mans avant d’être chassé de la ville en 111525.

Roscelin était, comme Marbode, un protégé de Foulque IV. L’accusation de Roscelin selon laquelle Robert recevait des veuves fuyant leurs maris fait écho à Marbode. Ce dernier se plaignait de ce que Robert engageait trop rapidement dans la vie religieuse des hommes et des femmes en raison de sa prédication26. Parmi les femmes qui tentèrent de gagner Fontevraud contre la volonté de leur mari, il y a Ermengarde (1069-1147), fille de Foulque IV. Elle avait été brièvement mariée (1089-91) à Guillaume IX d’Aquitaine et le fut en 1092 à Alain Fergent, comte de Bretagne († 1119)27. Bien qu’elle puisse être devenue la disciple de Robert après 1096 lorsque Alain participa à la première croisade, elle se rendit certainement à Fontevraud pour un court séjour en 1106. Elle fut cependant obligée de revenir à la cour ducale, ce qui poussa Robert à écrire le fameux sermon qu’il lui adressa vers 1108. De même qu’Hersende, Ermengarde préféra, aux exigences de la politique dynastique, l’appel de Robert à la vie religieuse.

Baudri de Bourgueil ne mentionne pas les implications politiques de la prédication de Robert non plus que son association avec les femmes, qui ont tellement troublé Marbode et Roscelin. Baudri se contente de dire qu’après des études à Paris (avant 1085 ?) et un séjour près de l’évêque Sylvestre de Rennes (1088-93), Robert se consacre à la « philosophie divine » à Angers (1093/95)28. Robert a pu développer son adhésion à la réforme pendant ses études parisiennes sous la direction de Drogon qui est connu pour ses commentaires scripturaires29. À Angers, Robert a pu rencontrer Marbode comme archidiacre et a même pu rencontrer le jeune Pierre Abélard en route pour Loches. Quoi qu’il en soit, le mariage d’Ermengarde avec Alain Fergent en 1092 renforce les liens entre la Bretagne et l’Anjou. Des événements inconnus poussent Robert à quitter Angers pour les bois de Craon en 1095. Ce n’est que plus tard qu’il apparaît plus nettement comme prédicateur en Anjou, après avoir reçu l’autorisation du pape Urbain II en 109630. Le commentaire de Baudri selon lequel Robert aurait agi avec le soutien de l’évêque d’Angers n’est sans doute qu’une fiction. En 1098, Marbode exprime son mécontement devant la prédication ouverte de Robert et son association avec des religieuses qui étaient parfois même accompagnées de jeunes enfants. L’allusion malveillante de Marbode peut seulement refléter le fait que les disciples de Robert incluaient de jeunes mères avec leurs enfants, abandonnées, comme Ermengarde, par des maris partis en croisade. Comme pour s’opposer aux affirmations de Marbode, Baudri ne fait aucune mention de telles irrégularités et insiste sur la stricte séparation des sexes à Fontevraud et sur la manière dont Robert fait passer Hersende du statut de conversa à celui de moniale cloîtrée et de magistra de la communauté31. Elle reçoit le titre de prieure en 110432. Les communautés de conversae que Robert visitait avant la fondation de Fontevraud en 1101 devaient être assez peu différentes des communautés féminines établies par saint Anselme à Lyons justement à la même époque (1097-1100) et consacrées à la fois à Marie Madeleine et à la Vierge33. L’hostilité de Marbode prouve cependant que de telles associations féminines pouvaient être considérées de manière bien plus négative.

Si l’on suit l’hypothèse de Werner Robl pour qui Hersende de Fontevraud possède un nom, une date de décès (30 novembre/1er décembre) et des liens avec la famille noble de Montmorency, traditionnels gardiens d’Argenteuil, qui sont identiques à ceux d’Hersende, mère d’Heloïse, Hersende aurait alors abandonné Héloïse à Argenteuil en 1101, lorsqu’elle devint moniale cloîtrée à Fontevraud. Robl suggère que Fulbert, qui apparaît pour la première fois comme chanoine de Notre-Dame à peu près au même moment, a reçu la charge de veiller sur l’enfant34. Cependant, la conspiration du silence dans nos sources à propos d’une telle irrégularité dans la vie d’Hersende autant que l’absence dans l’obituaire du Paraclet de liens entre la mère d’Héloïse et Fontevraud interdisent d’accorder à l’hypothèse de Robl le poids d’une certitude35.

Bertrade de Montfort et Fontevraud

La polémique de Roscelin contre Robert d’Arbrissel s’est développée parallèlement à un violent litige entre les chanoines de Saint-Martin de Tours et Fontevraud. Il remonte à l’époque où Bertrade de Montfort devient moniale après la mort de Philippe Ier en 1108. Bertrade, qui avait été la troisième femme de Foulque IV d’Anjou (entre 1089 et 1092), avait reçu de Philippe le domaine de Saint-Martin comme douaire en 1093, lors de son mariage avec le roi. Le départ de Roscelin et d’Abélard de Loches pour Tours peut même avoir été influencé par les nouveaux liens de Bertrade avec le roi de France. Non seulement son frère, Guillaume de Montfort, devint évêque de Paris (1095-1100), mais le protecteur d’Abélard, Étienne de Garlande, semble aussi avoir commencé pendant ces années son ascension, aussi bien à Orléans qu’à Paris36. Cependant en 1104, Bertrade est considérée comme une concubine du roi par Yves de Chartres et l’évêque Galon de Paris, dont Guillaume de Champeaux, qui enseignait probablement à l’école cathédrale depuis le début des années 1090, devient un rival comme archidiacre. La dispute avec Saint-Martin de Tours commence lorsqu’elle décide de devenir moniale à Fontevraud après la mort de Philippe Ier en 1108, ce qui aide Fontevraud à devenir une abbaye angevine aux privilèges exceptionnels. En 1112, Louis VI autorise sa belle-mère à fonder un prieuré sur les domaines de son douaire à Hautes-Bruyères, au diocèse de Chartres, où Pétronille envoie des moniales en 111537. Bertrade se présente elle-même comme reine de France cette même année sur son sceau personnel38. Robert se rend en personne à Chartres la même année comme intermédiaire dans une dispute entre Yves de Chartes et l’abbé de Bonneval soutenu par le comte de Blois39.

Le conflit entre Fontevraud et les chanoines de Saint-Martin de Tours gagne en intensité après la mort de Bertrade à la fin de 1115/1116 et celle de Robert le 25 février 1116. Pétronille avait besoin de garantir les privilèges de Fontevraud et de Hautes-Bruyères contre les rumeurs hostiles que propageaient Marbode et Roscelin de Compiègne. On ne sait si Roscelin écrivit son Contra Robertum avant ou après que Pétronille chargea Baudri de rédiger la vie de Robert. Baudri a dû compléter son œuvre avant le 30 août lorsque Calixte II rend visite à Fontevraud. Le 15 septembre 1119, le pape approuve le legs de Hautes-Bruyères fait par Bertrade. Le pape affirme que le domaine lui avait été donné en douaire (in dote) par Philippe et qu’il revient par conséquent à Bertrade de le donner à l’abbaye de Fontevraud. André, dans son supplément à la vie de Robert, souligne que Hautes-Bruyères appartient à Fontevraud. Cela sous-entend qu’il désire montrer l’engagement de Robert dans les affaires chartraines. Pourtant entre le 5 et le 18 octobre 1119, Louis VI revient sur la décision pontificale en rendant le domaine à Saint-Martin de Tours.40 Vu l’importance politique du désir de Bertrade de Montfort de léguer à Fontevraud son douaire royal à Hautes-Bruyères, il est bien possible que Roscelin ait adressé son Contra Robertum au pape en 1117/1118, pour renforcer les intérêts de Saint-Martin contre Fontevraud. L’intensité de la réaction d’Abélard nous laisse penser que Roscelin a critiqué non seulement le comportement de Robert envers les femmes, mais aussi les mœurs d’Abélard au cours de sa liaison avec Héloïse.

Abélard écrit en 1119 aux chanoines de Saint-Martin de Tours, non seulement pour relancer d’anciennes accusations d’hérésie contre son ancien maître, mais aussi pour accuser Roscelin d’avoir critiqué de manière injustifiée Robert. Cela force Roscelin à écrire une réponse irritée à son ancien élève. En défendant Robert, Abélard défend en fait une vision de la vie religieuse permettant aux hommes d’avoir des rapports spirituels légitimes avec les femmes. Roscelin répond en montrant une connaissance détaillée de la trahison d’Abélard envers la confiance et la bonté que lui a montrées Fulbert « un noble clerc de l’église de Paris ». Cela suggère qu’il a pu obtenir ces informations de Fulbert lui-même ou d’un ami commun. Roscelin ne fait aucune référence à un traité d’Abélard sur la Trinité, ce qui permet de supposer que la Theologia “Summi boni”, où Abélard reprend ses propos polémiques contre « un malin dialecticien ou plutôt un sophiste rusé », n’avait pas encore été écrite41.

La présence du Contra Robertum dans une bibliothèque contenant également les écrits d’Anselme de Canterbury, Bernard de Clairvaux et Hugues de Saint-Victor (Hugo Parisiensis dans ce catalogue) rappelle la liste d’auteurs que l’on trouve dans les nombreux manuscrits de la lettre de Marbode à Robert. L’écrit polémique de Marbode se trouve à côté des ouvrages d’Hildebert, Yves de Chartres, Bernard de Clairvaux et Hugues de Saint-Victor, mais jamais près de ceux de Baudri de Bourgueil dont la vie de Robert ne survit dans aucun manuscrit du xiie siècle42. La suggestion de François Dolbeau pour qui la mention du Contra Robertum à côté de deux écrivains normands peu connus, Adelelme de Fécamp et Richard de Préaux († 1131), d’abord moine de Bayeux (Sermones aelelmi, Ricardus pratellensis super ecclesiasticum liber I), le rattache à l’abbaye victorine de Notre-Dame d’Eu (de Augo), fondée en 1119, a été renforcée par la découverte d’éléments victorins dans les enluminures43. Eu, site côtier très utilisé par les voyageurs entre l’Angleterre et la Normandie, n’était pas une abbaye insignifiante. Ses rapports avec Angers sont suggérés par la présence d’un commentaire sur Matthieu de Geoffroy Babion († 1158), un maître enseignant à Angers de 1103/1110 à 1136, où Babion est identifié comme auteur (Glose Babionis super Matheum), à la place de son maître, Anselme de Laon, comme c’est souvent le cas dans la tradition manuscrite.

La présence en Normandie du Contra Robertum de Roscelin est significative. Robert d’Arbrissel n’a pas beaucoup voyagé dans la région, à l’exception de sa visite au bordel de Rouen44. Fontevraud s’est étendu en Angleterre plutôt grâce à l’influence angevine que normande, notamment celle de l’abbesse Mathilde d’Anjou (ca. 1149-1155), fille de Foulque V d’Anjou et ancienne bru d’Henri Ier d’Angleterre. Bien qu’Orderic Vital, moine de Saint-Évroult, mentionne la prédication de Vital de Savigny et de Bernard de Tiron, en les décrivant comme néophytes et pas nécessairement plus vertueux que les bénédictins traditionnels, il évite de faire référence à Robert d’Arbrissel ou à sa fondation de Fontevraud45. L’attitude d’Orderic peut réfléter l’aversion d’un normand pour un établissement soutenu par Bertrade de Montfort, qu’il considère comme ayant accédé de manière illégitime au trône de France en 1092 grâce à sa liaison avec Philippe Ier de France. Après l’avènement de Louis VI, Bertrade devient moniale à Fontevraud et encourage son fils, le jeune Foulque V, à faire des dons significatifs à l’abbaye. La rhétorique négative contre Robert, soutenu par Roscelin, peut avoir été bien accueillie par les ecclésiastiques de Normandie et d’Île-de-France qui considéraient Bertrade comme usurpatrice du trône de France.

Il ne faut pas surestimer les commentaires de Roscelin à Abélard sur l’étendue de son influence. Le 7 mai 1092, Roscelin souscrit un chartre à Bayeux avec Odon de Bayeux, demi-frère de Guillaume le Conquérant, et des grands officiers royaux comme Ranulf Flambard, ennemi de longue date d’Anselme du Bec. Roscelin, qui a été accusé d’hérésie par Foulques, évêque de Beauvais en 1088/89, a dû être un chanoine réformateur dans cette ville depuis 1072, a étudié à l’école cathédrale de Reims à un moment remarquable de son histoire, sous l’épiscopat de Gervais et avant le départ en 1080 du grammaticus Jean de Reims pour Saint-Évroult. En Angleterre, Roscelin soutient avec tant de rigueur le célibat sacerdotal promu par la papauté qu’il est critiqué pour son excessive dureté par Thibaud d’Étampes durant sa visite en Angleterre en 1092/9346. L’influence de Roscelin sur le monde anglo-normand est suggérée par la présence de deux exemplaires de son commentaire sur les Psaumes 1-25 à l’abbaye augustinienne de Lanthony et d’un manuscrit de sa profession de foi à Durham47. La présence de sa lettre à Abélard dans un manuscrit de Benediktbeuren, sans doute amené là par Otton de Freising, qui reconnaissait sa réputation en dialectique et approuvait sa définition de la Trinité comme trois choses distinctes, atteste la diffusion de sa réputation.

La seule anecdote connue sur Fulbert, en dehors de textes d’Abélard et de Roscelin, est une histoire racontée par Orderic Vital sur la crise de conscience de Fulbert. Ce dernier rendit à Saint-Évroult une relique de ce saint, qu’il avait obtenue comme marque d’affection de la part d’un chapelain royal, entre 1108 et 1118. Comme ces reliques étaient traditionnellement conservées auprès du roi de France à Orléans, ce changement dans la loyauté de Fulbert est significatif pour Orderic, notoirement hostile à la culture angevine et à Bertrade de Montfort. Fulbert est temporairement exilé de Notre-Dame dans la première moitié de 1117 en raison de son rôle dans la castration d’Abélard. L’histoire d’Orderic montre un changement décisif dans la loyauté de Fulbert qui s’éloigne du chapelain royal Étienne de Garlande en rendant une relique de Saint-Évroult à sa maison normande. Comme le traité de Roscelin contre Robert a circulé dans un contexte normand, il est possible qu’Orderic ait connu cet écrit.

La seule fois mention de Roscelin dans la Dialectica d’Abélard se trouve à la fin de l’ouvrage où l’auteur se moque d’une « opinion stupide de notre maître Roscelin » 48. Le fait que cette allusion se trouve près d’une discussion sur les idées platoniciennes appliquées à la Trinité suggère que cette section finale n’a été complétée par Abélard qu’une fois devenu moine à Saint-Denis. Abélard approfondit ici sa critique de ce qu’il considère comme une sémantique augustinienne simpliste, selon laquelle une vox était imposée pour signifier une res, et que Roscelin a appliquée dans sa définition des trois personnes divines comme trois choses distinctes. Roscelin comme Guillaume de Champeaux, chacun à sa manière, appliquent cette terminologie des choses, qu’elles soient individuelles ou universelles. La dispute d’Abélard avec Roscelin met en jeu bien plus qu’un désaccord à propos de Robert d’Arbrissel et de saint Anselme. En reconnaissant la légitimité de la critique portée par Anselme à la doctrine de Roscelin selon laquelle chaque personne divine est une chose distincte, il voulait expliquer que les noms divins étaient de simples noms prédiqués de Dieu pour décrire certains aspects de sa nature. Il est nécessaire d’aller au-delà des apparences du discours théologique pour examiner son intention. La décision d’Abélard de faire de son traité sur la Trinité une réfutation des vues hérétiques de Roscelin de Compiègne constituait un moyen commode. Cela lui permet de s’affirmer comme un théologien unissant l’intérêt de saint Anselme de Canterbury pour les arguments rationnels avec la technique argumentative fondée sur les autorités écrites développée par Guillaume de Champeaux. De manière paradoxale, Abélard est cependant accusé d’hérésie à Soissons en 1121, non par Roscelin, mais par les disciples d’Anselme de Laon.

Au moment où Abélard débattait de ces problèmes doctrinaux avec Roscelin, il ne pouvait qu’être impliqué dans la polémique sur la réputation de Robert d’Arbrissel. Cette polémique est elle-même liée aux disputes impliquant Fontevraud, Saint-Martin de Tours et la couronne française. Nous pouvons proposer la séquence chronologique suivante :

  • 1115 28 oct. — Pétronille devient première abbesse de Fontevraud.
  • 1115 25 déc. — Robert célèbre Noël à Hautes-Bruyères.
  • 1116 25 fév. — Mort de Robert d’Arbrissel ; mort de Bertrade (fin 1115/1116).
  • Fin 1115/1116 — Mort de Bertrade à Hautes-Bruyères (fin 1115 ou 1116).
  • 1116-1119 — Baudri de Dol puis André écrivent les deux vies de Robert, en créant le libellus (version longue) le 1 sept. 1119.
  • 1115-début 1117 — relation d’Abélard avec Héloïse qui donne naissance à Astralabe en Bretagne (en passant par Fontevraud ?).
  • Mars-mai 1117 — castration d’Abélard ; Fulbert part en exil pour au moins un an (en se rendant à Saint-Évroult, Normandie) ; Héloïse devient moniale à Argenteuil ; Abélard devient moine à Saint-Denis, puis se rend dans une dépendance de l’abbaye.
  • 1117-1119 — Abélard complète sa Dialectica et commence à travailler à ses gloses sur Porphyre et les Catégories d’Aristote.
  • [1117/1118] — [Roscelin écrit le Contra Robertum sous forme d’une lettre (adressée au pape?)].
  • 1119 — [Abélard répond aux chanoines de Saint-Martin de Tours sur Roscelin] ; Roscelin répond avec l’Epist. ad Abaelardum.
  • 1119 31 août-1 Sept. — Calixte II se rend à Fontevraud et y consulte le libellus (version longue ou courte ?).
  • 1119 15 sept. — Calixte II renouvelle son soutien à Fontevraud, en donnant raison à l’abbaye pour la possession de Hautes-Bruyères.
  • 1119 5-18 oct. — Louis VI revient, en faveur de Saint-Martin de Tours, sur la décision pontificale concernant Hautes-Bruyères.
  • 1119 30 oct. — Calixte II revient sur sa décision du 15 septembre et confirme la sentence de Louis VI.
  • 1119-c. 1124 — Abélard consulte le libellus dans sa version longue (selon l’état conservé dans le manuscrit de Saint-Denis et résumé en 1635). Révision du libellus de Robert d’Arbrissel pour répondre à la controverse sur sa réputation, en usage à Fontevraud (ou révision, version courte complétée en sept./oct. 1119 ?).
  • 1120 — Abélard compose sa Theologia Summi boni, contre les erreurs théologiques de Roscelin.
  • 1120-21 — [Roscelin, ayant vu le traité d’Abélard, incite l’évêque de Paris à le faire accuser d’hérésie] ; Abélard écrit à l’évêque de Paris pour réfuter les propos de Roscelin.
  • 1121 (mars/avril) — Abélard est accusé d’hérésie au concile de Soissons.
  • 1122 — Abélard quitte Saint-Denis, tout d’abord grâce à l’aide de Burchard, évêque de Meaux, puis grâce à celle d’Étienne de Garlande.
  • 1124 — Burchard de Meaux fonde Fontaines, prieuré de Fontevraud où Boudet traduira le libellus de Robert (dans sa version longue) en 1510.

Le Sermon à Ermengarde et la critique de l’hypocrisie

La suspicion d’Abélard envers les clercs possédant des charges, et pas seulement Roscelin et Guillaume de Champeaux, peut elle-même avoir été influencée par la prédication de Robert. Le fait que Robert, selon Marbode, avait tendance à énumérer les fautes des clercs et des détenteurs d’offices ecclésiastiques se reflète dans un sermon adressé à Ermengarde, comtesse de Bretagne. Le sermon commence par une critique de Robert sur les faux-semblants (simulatio) d’humilité, sainteté, amour et patience49. Les passages bibliques préférés de Robert sont ceux qui parlent de juger non selon les apparences, mais en vertu de la justice (Ioh. 7, 24 ; Iac. 2, 9, Lev. 10, 15). Critique pour ceux qui se contentent de disputer d’après l’Écriture, il défend de manière implacable les droits de la justice. Il éreinte comme simoniaques les « maîtres, évêques, abbés et prêtres », de même que les « les méchants, voleurs, adultères et princes incestueux ainsi que le peuple ignorant de la loi divine »50. On connaît la critique qu’adresse Abélard à Guillaume de Champeaux pour son hypocrisie qui consiste à chercher à observer la vie religieuse à Saint-Victor, aux yeux du public. Cette critique pourrait être influencée par celle que faisait Robert d’Arbrissel de l’institution cléricale.

Robert tire ses arguments de l’Écriture, plutôt que des auteurs patristiques ou des philosophes, afin de montrer la fausseté des apparences extérieures, même celles qui touchent aux œuvres de miséricorde ou à la prière extérieure. Il explique la différence entre la main droite qui ne sait pas ce que fait la main gauche (Matthieu 6 :2-3), en disant qu’elle correspond au fait de pratiquer le bien sans rechercher la louange humaine, mais en raison d’un motif désintéressé51. Pour lui : « Dieu ne considère pas les mots, mais le cœur de celui qui prie. Toutes les bonnes œuvres du juste consistent à prier. Nous pouvons toujours prier de cœur, mais pas toujours avec notre voix. (…) Beaucoup de clercs sont des hypocrites. Les moines et les ermites, pour plaire aux hommes, feignent de prier longuement pour être vus des hommes. Mais toi, bien éloigné de toute vanité et feinte, tiens-toi du côté de la vérité avec discrétion »52. Le sermon de Robert se termine par une méditation subtile selon laquelle on doit user de discernement dans la mortification physique et éviter les excès : « Le premier homme a été séduit non par des nourritures délectables, mais par le fruit d’un arbre ». Évitant l’opinion commune selon laquelle Adam a été séduit par Ève, il soutient que sa chute est due au fruit défendu (c’est-à-dire à la connaissance du bien et du mal), plutôt qu’à une quelconque nourriture attirante. Le fait qu’Élie et le Christ aient mangé de la viande, du poisson et du vin ne les a pas empêchés d’être élevés au ciel : « le royaume de Dieu n’est pas fait de nourriture et de boisson, mais de grâce et de paix ».

Une telle insistance dans une prédication monastique sur la nécessaire intériorité des pratiques religieuses trouve ses racines dans Augustin et surtout les Évangiles. Robert utilise cependant le thème de la pureté d’intention pour mettre en question la légitimité des observances extérieures d’une manière bien plus radicale que dans l’enseignement d’Anselme de Laon par exemple. Dans ses sentences théologiques, Anselme de Laon insiste sur la nécessité d’une intention droite, mais pour justifier un enseignement ecclésiastique traditionnel. Le sermon de Robert met en valeur une critique des apparences au sein de la vie religieuse que Marbode a pu trouver potentiellement dangereuse. Abélard semble pourtant faire écho à Robert dans ses critiques sur Anselme de Laon et Guillaume de Champeaux, ces derniers étant selon lui plus intéressés par l’apparence de l’autorité intellectuelle que par sa substance.

La critique rigoureuse de Robert contre l’hypocrisie religieuse et son insistance à ce qu’Ermengarde ne se trouble pas devant les aspects extérieurs de l’observance religieuse rappellent les commentaires d’Héloïse qui ne se sentait pas concerné par les apparences de la vie religieuse. Dans son argumentation contre le mariage, Héloïse ne souhaite pas se présenter comme une héroïne mondaine, mais comme une amoureuse par excellence qui ne se préoccupe pas des apparences. Il n’entre pas dans le cadre de cet article de considérer dans quelle mesure les idées d’Héloïse ont pu être influencées par celles de Baudri de Bourgeuil dont les sermons n’ont malheureusement pas survécu. Héloïse bien plus imprégnée de lettres classiques que la première magistra de Fontevraud, appartenait à une génération différente de celle d’Hersende de Fontevraud. Celle-ci, par son éducation, était portée à encourager un zèle ascétique similaire à celui prôné par Robert. Héloïse a pu cependant prendre plaisir à la manière dont Baudri raconte comment Robert a maintenu une grande intimité avec Hersende, aussi bien à la manière dont André raconte que Robert voulait se faire enterrer près d’Hersende.

La prédication de Robert semble présenter des points communs avec celle de Vital de Savigny, décrite par Orderic Vital comme « n’épargnant ni les riches ni les pauvres dans ses sermons publics », et « faisant trembler les femmes délicatement parées d’ornements en soie et de belles fourrures, lorsqu’il attaquait leurs péchés avec l’épée du verbe divin »53. Ses sermons sont décrits par Baudri comme possédant l’éloquence de Cicéron et d’Orphée54. Cette insistance sur l’intériorité et le souci pastoral est rappelée dans un poème émouvant écrit par une moniale élevée à Argenteuil (sans aucun doute Héloïse) à l’occasion de mort de Vital en 1122. Robert d’Arbrissel, qui a étudié à Paris dans les années 1080 bien avant que Guillaume de Champeaux ne transforme la réputation de l’école cathédrale, a pu ne pas être un dialecticien de la stature de Roscelin ou d’Abélard, mais lui et Vital semblent avoir été des orateurs capables d’impressionner le très cultivé abbé de Bourgueil.

L’Historia calamitatum, le Paraclet, et Fontevraud

Lorsqu’Abélard se présente lui-même dans l’Historia calamitatum comme « voyageant dans les provinces », il est possible qu’il ait voulu faire écho à la narration de Baudri. Ce dernier montrait la manière dont Robert se rendit à Paris pour étudier, et celle dont il résolut progressivement les difficultés en s’ouvrant à la providence du Saint-Esprit. Tandis que Robert devient ermite à Craon, Abélard décide de s’établir dans un oratoire initialement dédié à la sainte Trinité (en écho à la pratique de Vital de Savigny), puis dédié au Paraclet. Bien qu’Abélard ait adressé sa narration à un ami imaginaire, il est possible qu’il ait voulu faire lire son texte aux moniales du Paraclet. Le but d’Abélard est de donner aux moniales un enseignement théologique sur le pouvoir consolateur du Saint-Esprit, autant que de justifier les pratiques originales qu’il voulait voir observées au Paraclet.55

Une part importante de la section finale de l’Historia calamitatum est consacrée à défendre le rôle des hommes dans la cura monialium contre le type de critiques utilisées contre Robert d’Arbrissel par Marbode et Roscelin. Abélard le fait en parlant de son exemple personnel, comme de celui de Jérôme et de Jésus même.56 En formulant ces arguments, il amplifiait la justification donnée par Baudri dans sa vie de Robert.

Cependant Abélard utilise aussi des mots prudents pour parler de la place de l’abbesse par rapport à d’autres femmes. Il agit de même concernant le fait de demander à des femmes de suivre le même règle que des hommes, et à propos de l’autorisation parfois donnée à une abbesse de gouverner le clergé avec un joug trop lourd :

« C’est pourquoi je ne suis pas peu surpris des coutumes qui se sont développées depuis longtemps dans les monastères : de même que des abbés commandent à des hommes, ainsi des abbesses le font pour des femmes ; des femmes comme des hommes font profession de la même règle, dans laquelle pourtant beaucoup de choses ne peuvent être accomplies par des femmes aussi bien en charge que sujettes. En outre, en de nombreux lieux, nous voyons que l’ordre naturel est si perturbé que des abbesses et des moniales dirigent les clercs mêmes auxquels le peuple est soumis, et ils peuvent être d’autant plus conduits à de mauvais désirs qu’ils sont soumis aux femmes et qu’elles leur imposent un lourd joug, selon le mot du satiriste : rien n’est plus insupportable qu’une femme riche »57.

En disant que les femmes ne devaient pas suivre la même règle que les hommes, Abélard anticipe l’observation d’Héloïse dans sa troisième lettre où elle dit que les femmes ne sont pas en mesure de pratiquer tous les préceptes de la règle bénédictine, comme si Abélard avait déjà entendu Héloïse faire cette critique lors d’une conversation.

En critiquant une abbesse ayant autorité sur les hommes et les femmes, en raison d’un possible abus de pouvoir, Abélard fait sans doute allusion à la règle de Fontevraud. Cela renvoie probablement au choix fait par Robert de Pétronille de Chemillé comme première abbesse de la communauté en 1115, avec autorité à la fois sur les hommes et les femmes à Fontevraud et dans tous ses prieurés. Plutôt que critiquer Robert lui-même, Abélard semble mettre en question l’évolution très rapide de sa fondation. Celle-ci est devenue sous la direction de Pétronille une riche et puissante communauté, peut-être en s’éloignant de l’esprit original des fondateurs, Hersende et Robert.

Dans le premier document connu du Paraclet, un privilège solennel du pape Innocent II daté du 28 novembre 1131, Héloïse apparaît avec le rang de prieure et non d’abbesse58. Le dessein initial d’Abélard pour l’organisation du Paraclet a pu refléter son désir de reproduire les structures originales de Fontevraud. Dans son ouvrage suivant pour Héloïse, Abélard indique que le mot abbatissa est une contradiction dans les termes, puisque le mot abba signifie père et non mère : « celles que nous appelons maintenant abbesses, l’antiquité avait coutume de les appeler diaconesses comme si elles étaient ministres plutôt que mères » 59. Guy Lobrichon a mis en lumière le désir d’Héloïse d’être identifiée comme abbesse contre l’influence et le contrôle d’Abélard, en observant qu’elle acquiert ce titre en 113560. Fiona Griffiths soutient une position plus nuancée : Abélard et Héloïse ont dû négocier la manière dont les hommes gouvernaient les femmes au Paraclet, en s’inspirant des préoccupations des moines réformateurs du xie siècle61. À Marbach, communauté augustinienne mixte, où la moniale Guta et le chanoine Sintram collaborent pour produire un important manuscrit, la communauté adapte le sermon 30 d’Abélard, afin de promouvoir la direction spirituelle des religieuses62. Abélard soutient d’évidence le mouvement en faveur des femmes engagées dans la vie religieuse, mais se montre prudent envers la manière dont l’autorité a évolué à Fontevraud, notamment après la mort de Robert63. L’attitude complexe et souvent ambivalente d’Abélard à propos de ce qui constitue une relation correcte entre hommes et femmes relève d’une incertitude plus large à la fin du xie siècle et au début du xiie siècle. Cette incertitude porte sur les frontières entre genres et apparaît évidente dans la vie de Robert d’Arbrissel. Ce flou dans les frontières entre hommes et femmes entrés en religion découle du désir d’impliquer les femmes dans un mouvement de renouveau de la vie apostolique, qui trouve lui-même son origine au moins dans la seconde moitié du xie siècle.

Conclusion

Robert d’Arbrissel, Roscelin de Compiègne et Pierre Abélard avaient chacun leur propre vision de la manière dont ils entendaient que l’Église fût réformée et purifiée de la corruption. Robert était un prédicateur de premier plan : sa critique de l’hypocrisie extérieure fascinait beaucoup de gens dans la société angevine à la fin du xie siècle, en particulier Hersende, première prieure et magistra de Fontevraud. Cependant Robert provoquait aussi de l’inimitié, non seulement de la part de Marbode de Rennes, mais aussi de Roscelin, qui avait trouvé refuge à Loches en 1093/94 auprès de Foulque IV d’Anjou, précisément au moment où le jeune Abélard commençait ses études dans la vallée de la Loire. Tandis que Roscelin se rangeait du côté de Marbode pour voir dans Robert un dangereux critique de l’autorité cléricale, Abélard était fasciné par la remise en cause que faisait Robert de l’hypocrisie dans la vie religieuse, jugements qu’il appliqua à Guillaume de Champeaux et Anselme de Laon. Bien que Robert n’ait pas été un dialecticien, sa critique des apparences poussa Abélard à mettre en question l’autorité de ses maîtres et peut-être même à réfléchir à l’importance de l’intention derrière l’usage des mots.

Le Contra Robertum de Roscelin développait les arguments de Marbode contre Robert d’Arbrissel. Les chanoines de Saint-Martin de Tours se disputèrent avec Fontevraud, parce que Bertrade de Montfort avait donné à Fontevraud des domaines de l’abbaye de Tours qu’elle avait reçus en douaire de son mari en 1093. Roscelin avait des raisons d’être mécontent de l’influence de Robert d’Abrisssel qui avait accueilli Bertrade à Fontevraud en 1108. Écrit en 1117/1118 à la suite des morts de Robert et Bertrade de Montfort, le traité de Roscelin défendait les réclamations de Saint-Martin de Tours sur les domaines que Bertrade avait confiés à Fontevraud. La réaction acharnée d’Abélard à ce Contra Robertum a été peut-être aggravée par des remarques de Roscelin concernant son conduite envers Héloïse. Qu’il ait été écrit avant ou au moment même où Baudri rédigeait sa vie de Robert, les deux narrations présentaient des perspectives diamétralement opposées. Est-ce qu’Abélard a pu obtenir un exemplaire du libellus original contenant les vies de Baudri et André, peu de temps après leur remise au pape Calixte II en septembre 1119, tel qu’il existait en 1635 à Saint-Denis ? En tout cas, Abélard répondit au Contra Robertum de Roscelin dans une lettre perdue adressée aux chanoines de Saint-Martin de Tours. Cette missive provoqua en retour Roscelin à répéter ses griefs dans une lettre à Abélard. Elle est riche en sous-entendus malveillants concernant la manière dont Robert était moralement responsable pour les adultères commis par les maris dont les femmes avaient été accueillies à Fontevraud.

Héloïse était peut-être plus encline à appliquer les normes éthiques de Robert à ses relations, notamment à son amitié avec Abélard. Fulbert à l’origine encouragea Abélard à devenir le tuteur d’Héloïse, dans l’espoir qu’ils pourraient maintenir une relation chaste similaire à celle que Baudri cultivait avec ses amies lettrées à l’abbaye du Ronceray à Angers. À la différence de Marbode, Baudri ne voyait aucune incongruité à faire circuler des poèmes qui le présentait en train de tenir des débats littéraires avec de telles femmes. Abélard, cependant, ne se maintint pas à ce niveau dans ses relations avec Héloïse, poussant ainsi Fulbert à se retourner violemment contre lui. On ne sait pas si Héloïse se rendit à Fontevraud lors de son retour de Bretagne à Paris. Si elle était la fille d’Hersende de Fontevraud, elle aurait eu des raisons particulières d’honorer la mémoire de Robert d’Arbrissel. Le poème écrit en mémoire de Vital de Savigny par une moniale cultivée d’Argenteuil suggère qu’elle honorait la mémoire de tels prédicateurs apostoliques. C’est seulement lorsque Héloïse a été chassée d’Argenteuil en 1129 que la relation avec Abélard prit un tour nouveau. Abélard était alors prudent et ne voulait pas suivre toutes les pratiques de Fontevraud, notamment celles de donner à une femme la charge de diriger les hommes et les femmes au sein d’une communauté. Toutefois, l’exemple de Robert continua à exercer son influence sur Abélard et Héloïse, même s’ils ont dû trouver une nouvelle manière de conduire leurs vies.

Constant J. Mews, Monash University


1 Cette communication développe des idées d’abord abordées dans Constant J. Mews, « Negotiating the boundaries of gender in religious life : Robert of Arbrissel and Hersende, Abelard and Heloise », dans Viator, t. 37, 2006, p. 113-148. Je remercie vivement Cédric Giraud pour m’avoir aidé à traduire cet article de l’anglais.
2 Jacques DALARUN, Geneviève GIORDANENGO, Armelle LE HUËROU, Jean LONGERE, Dominique POIREL et Bruce L. VENARDE, Les deux vies de Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud. Légendes, écrits et témoignages / The two Lives of Robert of Arbrissel, Founder of Fontevraud. Legends, Writings, and Testimonies, Turnhout, 2006 (Disciplina monastica, 4).
3 Jacques Dalarun, « Capitula regularia magistri Roberti : de Fontevraud au Paraclet », dans Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances de l’année 2003, novembre-décembre, 2003, p. 1601-23 et « Nouveaux aperçus sur Abélard, Héloïse et le Paraclet », dans Francia t. 32, 2005, p. 19-66.
4 Édition dans Edmé Reno Smits, Peter Abelard Letters IX-XIV. An Edition with an Introduction, Groningen, 1983, p. 280, cité dans Les deux vies…, p. 631 (texte n° 17) : « Hic contra egregium illum praeconem Christi Robertum Arbrosello contumacem ausus est epistolam confingere, et contra illum magnificum Ecclesiae doctorem Anselmum Cantuariensem archiepiscopum adeo per contumelias exarsit, ut ad regis Anglici imperium ab Anglia turpiter impudens ejus contumacia sit ejecta, et vix tum cum vita evaserit ».
5 François Dolbeau, « Deux catalogues inédits de bibliothèques médiévales », dans Nova de Veteribus. Mittel- und neulateinische Studien für Paul Gerhard Schmidt, éd. Andreas Bihrer et Elisabeth Stein, München/Leipzig, 2004, p. 326-355, part. p. 342 ; Les deux vies…, p. 624-626.
6 Roscelin, Epistula ad Abaelardum, éd. Joseph Reiners, dans Der Nominalismus in der Frühscholastik, Münster, 1910 (Beiträge zur Geschichte der Universalienfrage im Mittelalter, 8/5), p. 64 : « […] et beneficiorum, quae tibi tot et tanta a puero usque ad juvenem sub magistri nomine et actu exhibui ».
7 Abélard, Historia calamitatum, éd. Jacques Monfrin, Paris, 1957, p. 64 : « Proinde diversas disputando perambulans provincias ». Voir Baudri, Historia magistri Roberti, dans Les deux vies, p. 144 : « Perambulat regiones et provincias irrequietus et in litterarum studiis non poterat non esse sollicitus. Et quoniam Francia tum florebat in scholaribus emolumentis copiosior, fines paternos tanquam exsul et fugitivus exivit ». Je n’ai pas trouvé de source classique pour l’expression perambulans provincias, alors qu’elle se présente, pour parler d’un endroit adapté à une retraite, dans la vie d’Étienne de Muret (1054-1124) qu’Étienne de Liciac à écrite au xiie siècle, Vita Stephani Muretensis, 11 : « perambulansque et perlustrans plurimarum provinciarum partes », éd. Jean Becquet, Turnhout, 1968 (Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis, 8), p 101-137. Il se pourrait qu’elle ait été influencée par la Vie de Robert de Baudri.
8 Roscelin, Epistula ad Abaelardum, éd. Joseph Reiners, dans Der Nominalismus in der Frühscholastik, Münster, 1910 (Beiträge zur Geschichte der Universalienfrage im Mittelalter, 8/5), p. 65 : « Neque vero Turonensis ecclesia vel Locensis, ubi ad pedes meos magistri tui discipulorum minimus tam diu resedisti, aut Bizuntina ecclesia, in quibus canonicus sum, extra mundum sunt, quae me omnes et venerantur et fovet et, quae dico, discendi studio libenter accipiunt ». Même si ubi peut se rapporter soit à Tours et Loches, soit seulement à Loches, la symétrie de la phrase de Roscelin, jointe à la familiarité d’Abélard avec les chanoines de Saint-Martin de Tours, donne lieu de penser que Roscelin a été le maître d’Abélard à Loches et Tours.
9 Roscelin et Hildebert signent tous les deux une charte de Saint-Martin de Tours, d’une éloquence inhabituelle. Datée entre 1101 et 1110, elle a été copiée par Baluze (armoire 3, paquet 2, num. 2) et publiée dans la Gallia Christiana, t. XIV, col. 80. Barthélemy Hauréau a émis l’idée qu’elle aurait pu être composée par Roscelin ou Hildebert (plus probablement ce dernier) ; voir « Documents nouveaux sur Roscelin de Compiègne », dans Singularités historiques et littéraires, Paris, 1894, p. 216-330.
10 Guillaume de Champeaux se réfère à Angers dans In primis, un commentaire sur le De inventione, conservé entre autres manuscrits dans York, Minster Library, ms. XVI M7, fol. 1va-22vb. Ces références à la population d’Angers (fol. 19va) et à l’archevêque simoniaque de Tours (fol. 19b) sont étudiées (sans attribution du texte à Guillaume) par Mary Dickey, « Some commentaries on the De inventione and Ad Herennium of the eleventh and early twelfth centuries », dans Mediaeval and Renaissance Studies, t. 6, 1968, p. 1-41, part. p. 13 pour les allusions aux Angevins ; le commentaire, attribué à Guillaume par Karen Margareta Fredborg, « The commentaries on Cicero’s De inventione and Rhetorica ad Herennium by William of Champeaux », dans Cahiers de l’Institut du Moyen âge grec et latin, t. 17, 1976, p. 1-39, est en cours d’édition par John O. Ward et Juanita Ruys. L’amitié d’Hildebert pour Guillaume est attestée par sa tentative pour persuader Guillaume de reprendre à Saint-Victor son enseignement public, depuis un lieu de retraite qui n’a pas été identifié, Patrologia latina, t. CLXXI, col. 141A-143A. Le départ de Guillaume de Saint-Victor a dû se faire en 1112, non pas en 1109, comme j’ai indiqué dans Constant J. Mews, « Logica in the service of philosophy : William of Champeaux and his influence », dans Schrift, Schreiber, Schenker. Studien zur Abtei Sankt Viktor zu Paris und zu den Viktorinern, éd. Rainer Berndt, Berlin, 2005 (Corpus Victorinum. Instrumenta, 1), p. 77-117, part. p. 93, n. 76. Guillaume de Champeaux confirme une sentence contre la vente de prébende, formulée à l’origine par le pape Urbain II au Concile de Melfi en 1089, mais réaffirmée par lui à Tours en 1096 lors d’un jugement qu’il présidait entre les chanoines de Saint- Martin de Tours et les moines de Cormery, Patrologia latina, t. CLI, col. 456D. Charles de Miramon a suggéré que ceci pourrait conduire à dater de 1090 le commentaire de Guillaume : « Spiritualia et temporalia - Naissance d’un couple », dans Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Kanonistische Abteilung, t. 123/92, 2006, p. 224-287, part. p. 267-268 et 283-284. L’allusion de Guillaume à la simonie de l’archevêque Raoul II de Tours (1086-1117) pourrait, cependant, se rapporter à la façon dont il obtint pour son frère, Jean Ier d’Orléans, l’évêché d’Orléans de la part du roi Philippe Ier de France, à qui il donna une couronne le jour de Noël 1097. C’est un poste que Baudri de Bourgueil avait sans succès tenté d’obtenir, d’après Yves de Chartres, Epistula 66, éd. Jean Leclercq, p. 296 (lettre écrite en 1097-1098). Cela impliquerait que le commentaire In primis a été écrit peu après 1097. Les allusions de Guillaume à Angers et Tours pourraient s’expliquer par le fait qu’il a suivi le pape dans ces deux villes en 1096.
11 Le manuscrit Paris, Bibl. nat. de France, NAL 181 (fin du xiie siècle) renferme une recension intermédiaire de la lettre de Marbode ainsi que des sentences d’Anselme de Laon et de Guillaume de Champeaux ; son contenu est décrit dans Les deux vies…, p. 512. Sur de semblables anthologies de sentences d’Anselme et de Guillaume, voir Constant J. Mews et Cédric Giraud « Le Liber pancrisis, un florilège des Pères et des maîtres modernes du xiie siècle », dans Archivum latinitatis medii aevi, t. 64, 2006, p. 145-191. L’excellente description des manuscrits de la lettre de Marbode montre qu’elle accompagnait souvent les écrits d’Hildebert (Douai, Bibl. mun. 372, en compagnie des lettres de Bernard de Clairvaux ; Paris, Bibl. nat. de France, lat. 14867 ; Città del Vaticano, Bibl. Apost. Vaticana, Reg. lat. 169, en compagnie d’extraits d’Hugues de Saint-Victor).
12 Je suis le débiteur de Jacques Dalarun pour une discussion que j’ai eue avec lui sur le sens possible de cette association, brièvement mentionnée dans Les deux vies…, p. 46-47, où il décrit le commentaire d’un Célestin, Louys Beurier, Sommaire des vies des fondateurs et reformateurs des ordres religieux, Paris, 1635, conservé dans Paris, Bibl. nat. de France, H 3939 [Be], fol. 16 : « […] Balderic evesque de Dole, son contemporain, qui a décrit amplement sa vie, que j’ay veuë dans un manuscrit de l’abbaye de Saint-Denis, d’où j’ai tiré ce petit abrégé ». J. Dalarun fournit deux stemmata possibles (p. 56), dont l’un (fig. 2) suggère que la source sandionysienne de Be dérive d’une souce antérieure ; l’autre (fig. 3) fait du manuscrit de Saint-Denis lui-même la source (α) de tous les autres témoins (voir fig. 5, p. 59). Saint-Denis possédait au xviie siècle une copie des Constitutions réformées de Fontevraud, à présent Paris, Bibl. Mazarine, 3426, voir Donatella Nebbiai-Dalla Guarda, La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Denis en France du ixe au xviiie siècle, Paris, 1985, p. 160, 170, 199, 274 et 371. Il y avait une étroite parenté entre Saint-Denis et Fontevraud, où les réformes commencèrent à l’initiative de Marie de Bretagne (1458-1474) et furent poursuivies par Renée de Bourbon (1491-1534), parente du cardinal de Bourbon que François Ier imposa à Saint-Denis comme premier abbé commanditaire (ibid., p. 125). Cela suggère qu’il se pourrait que la source de Be soit venue de Fontevraud à Saint-Denis à la fin seulement du xve siècle. Il semble toutefois plus probable que Fontevraud ait eu accès à la version raccourcie et plus solenelle du Libellus, plutôt qu’à la version originale, qu’Abélard pourrait avoir obtenue soit en visitant Fontevraud même à son retour de Bretagne, soit auprès d’Heloïse à Argenteuil. Comme Robl l’a observé, Hersende de Fontevraud a des liens avec Argenteuil du fait qu’elle descend de la famille de Montmorency, gardiens traditionnels de cette abbaye (voir ci-dessous, n. 34), sur laquelle Saint-Denis réclamait traditionnellement une autorité.
13 Boudet était un religieux du prieuré Fontevriste de Fontaines, fondé en 1124 par Burchard de Meaux (Les deux vies…, p. 29). Dans l’Historia calamitatum, éd. Monfrin, p. 92, Abélard rappelle que Burchard aida à négocier son départ de Saint-Denis en 1122 auprès de Suger, qui venait de s’installer comme abbé de Saint-Denis. Ce départ fut finalement obtenu avec l’aide d’Étienne de Garlande. Il se pourrait que la version utilisée par Boudet ait été donnée à Fontaines lors de sa fondation en 1124, avant que ne soit produite la version révisée. J. Dalarun (p. 112) a renoncé à son hypothèse antérieure d’un essai de Pétronille pour censurer la vie de Robert, considérant que le désir d’apaiser les doutes du pape était une cause plus probable de cette révision.
14 Sur le manuscrit et le premier de ces extraits (Notandum est) voir Constant J. Mews, « The trinitarian doctrine of Roscelin of Compiègne and its influence. Twelfth-century nominalism and theology reconsidered », dans Mélanges offerts à Jean Jolivet, éd. Alain de Libera, Adelali Elamrani-Jamal et Alain Galonnier, Paris, 1997, p. 347-364 (l’édition se lit p. 359), réimpr. dans Constant J. Mews, Reason and Belief in the Age of Roscelin and Abelard, Aldershot, 2002, n° IX.
15 Epistula ad Abaelardum, éd. Joseph Reiners, dans Der Nominalismus in der Frühscholastik, Münster, 1910 (Beiträge zur Geschichte der Universalienfrage im Mittelalter, 8/5), p. 66 (Les deux vies…, p. 629) : « Hos autem, quos in exemplum trahis, dominum [Reiners : donnum] videlicet Anselmum Canturiensem et Robertum, vitae bonique testimonii homines, numquam persecutus sum, licet quaedam eorum dicta et facta reprehenda videantur ».
16 Epistula ad Abaelardum, éd. Joseph Reiners, dans Der Nominalismus in der Frühscholastik, Münster, 1910 (Beiträge zur Geschichte der Universalienfrage im Mittelalter, 8/5), p. 67 : « Vidi enim dominum [Reiners : donnum] Robertum feminas a viris suis fugientes viris ipsis reclamantibus recepisse et, episcopo Andegavense, ut eas redderet praecipiente, inobedienter usque ad mortem obtinaciter tenuisse. Quod factum quam irrationabile sit, considera. Si enim uxor viro debitum negat et ob hoc ille moechari compellitur, maior culpa est compellentis, quam agentis. Rea ergo adulterii est femina virum dimittens postea ex necessitate peccantem. Quomodo ergo eam retinens et fovens immunis et non participes eiusdem crimis erit ? Illa enim nequaquam hoc faceret, nisi qui eam retineret [om. prius coniecti] inveniret ». Ce passage est imprimé partiellement dans Les deux vies…, p. 629 (n° 16), selon l’édition de Victor Cousin, Ouvrages inédits d’Abélard, Paris, 1836, p. 794-795, fondée sur celle de Johann Andreas Schmeller en 1847, réimpr. dans Patrologia latina, t. CLXVIII, col. 361CD.
17 Gratien, Decretum 2, 33, q. 5, canon 20, éd. Aemilius Friedberg, dans Decretum magistri Gratiani, Berlin, 1879, 2e éd., (Corpus iuris canonici), p. 1256 : « Evidentissime itaque apparet, ita virum esse caput mulieris, ut nulla vota abstinentiae vel religiosae conversationis liceat sibi sine eius licentia Deo offerre, etiamsi viro permittente repromissa fuerint, non licet et votum opere complere, cum vir voluerit revocare permissum. Vota vero continentiae ita alterius permissu ab altero valent offerri, quod post permissionem non valent in irritum deduci ».
18 Epistula ad Abaelardum, éd. Joseph Reiners, dans Der Nominalismus in der Frühscholastik, Münster, 1910 (Beiträge zur Geschichte der Universalienfrage im Mittelalter, 8/5), p. 65 : « Quomodo vero stare potest, quod dixisti toto me mundo expulsum, cum et Roma, quae mundi caput est, me libenter excipiat et audiendum libentius amplectatur et audito libentissime obsequatur ».
19 Les deux vies…, p. 628-629 et 682-683.
20 Hildebert, Epistolae 5, Patrologia latina, t. CLXXI, col. 212A : « Quippe non elegit te clerus, sed minae populares intrusere renitenti. Ordines tibi desunt ; quos in promovendis cognovimus inquirendos ». Olivier Guillot, Le comte d'Anjou et son entourage au xie siècle, t. I : Étude et appendices ; t. II : Catalogue d’actes et index, Paris, 1972, p. 260-261, suggère que « l’ambitieux Marbode » joua un rôle dans cette affaire, mais sans expliquer pourquoi il aurait changé en soutenant Robert d’Arbrissel. Il semble plus probable que Marbode était allié à Foulques IV et Geoffroy de Mayenne, contre Robert et Fontevraud.
21 Sur Marbode comme archidiacre d’Angers pendant l’épiscopat de Geoffroi de Mayenne, voir Guillot, Le comte d’Anjou, t. I, p. 257, n. 266.
22 Geoffroi de Vendôme, Epistula 3, 11, éd. Patrologia latina, t. CLVII, col. 114A : « Nos autem quae vidimus et audivimus, nec possumus nec debemus non loqui. In illa siquidem actione, imo vulgi conspiratione, quam pro electione reputatis, lex velut inter arma siluit ; vox divina locum non habuit. Totum ibi levitas vindicavit et vanitas, ubi mima quaedam et mulier publica, quae vos garruliter acclamabat, amplius potuit quam plebis maturitas, vel clericalis honestas potuerit. Hinc Ildebertus vir religiosus, qui post metropolitanum in provincia primus erat episcopus, non tacuit ; qui a vestra consecratione, licet a suo metropolitano vocatus, seipsum absentavit, et exsecrationem esse potius quam consecrationem apostolica et evangelica veritate praedicavit ». Voir Constant J. Mews, The Lost Love Letters of Heloise and Abelard : Perceptions of Dialogue in Twelfth-Century France, New York, 1999 (The New Middle Ages), p. 68 et 325 n. 75.
23 Marbode, Epistola 21, p. 546 : « […] vita reprehendis, sed absentium quoque, ecclesiasticorum non solum ordinum, sed etiam dignitatum criminia, quod non decet, enumeras, carpis, laceras… »
24 Orderic Vital, Ecclesiastical History, 11, éd. Marjorie Chibnall, dans Historia Ecclesiastica. The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, t. VI, Oxford, 1980, p. 76. Sur la politique complexe de ces années, voir Guillot, Le comte d’Anjou…, t. I, p. 118 et 123, et t. II, p. 269-270 ; voir aussi Belle Stoddard Tuten « Fashion and benefaction in twelfth-century western France », dans Religious and Laity in Western Europe 1000-1400 : Interaction, Negotiation and Power, éd. Emilia Jamroziak et Janet Burton, Turnhout, 2006, p. 41-62, part. p. 45-46 ; voir aussi Diversorum donationes, n° 4-5, éd. Patrologia latina, t. CLXII, col. 1097BC. La seconde charte, en 1106, mentionne la donation par Foulques IV, avec le soutien de ses fils Geoffroy et Foulques V, en 1106. Si c’est en 1104 que Foulques le Jeune seul retourna en France, où il fut vraisemblablement élevé par sa mère Bertrade, cette donation doit avoir été faite entre 1104 et 1106, voir Belle Stoddard Tuten, « Fashion and benefaction…. », p. 41-62. Cette étude est inestimable, entre autres pour les généalogies complexes qu’elle fournit (p. 59-61) des seigneurs de Craon et Sablé, Montsoreau et Montreuil-Bellay, de Fulcradus de Trèves, de Montjean et de Beaupréau, aussi bien que des comtes d’Anjou. Voir aussi ead., « Politics, holiness and property in Angers, 1080-1130 », dans French Historical Studies, t. 24, 2001, p. 601-618.
25 Sur Henri, voir les Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, éd. Gustave Busson et Ambroise Ledru, Archives historiques du Maine, t. II, Le Mans, 1901, et Raoul Manselli, « Il monaco Enrico e la sua eresia », dans Bolletino dell’Istituto storico italiano, t. 65, 1953, p. 1-63, en particulier le traité Contra Henricum scismaticum et hereticum, édité p. 44-63. Voir aussi W. Scott Jessee, « Robert d’Arbrissel : Aristocratic patronage and the question of heresy », dans Journal of Medieval History, t. 20, 1994, p. 221-235.
26 Les deux vies…, p. 629, à propos de Marbode, Epistola 25, p. 548 : « Jam vero et illud : qua ratione defendi potest quod cujuslibet conditionis aut aetatis mares et feminas qui, te praedicante, sicut fit, ad horam compunguntur, passim admittis et statim ad religionem profitendam adigis improbatos… ».
27 Présentation détaillée de sa vie dans Les deux vies…, p. 433-437, avec édition de la lettre-sermon que Robert lui a adressée, p. 460-479.
28 Baudri, Historia magistri Roberti, dans Les deux vies…, p. 144-50.
29 Le seul maître connu à Notre-Dame dans les années 1080 est Drogo grammaticus, mentionné en 1067 (à coté de l’archidiacre Drogo), voir Robert de Lasteyrie, Cartulaire général de Paris, ou recueil de documents relatifs à l’histoire et à la topographie de Paris, 528-1180, Paris, 1887, n° 98, p. 126. Les gloses sur des versets de Paul sont attribuées à Drogon, à côté de celles de Lanfranc et de Bérenger, voir Beryl Smalley, « La Glossa ordinaria. Quelques prédecesseurs d’Anselme de Laon », dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, t. 9, 1937, p. 365-400, part. p. 390-391.
30 Baudri, Historia magistri Roberti, dans Les deux vies…, p. 156.
31 Baudri ne parle que du passage d’Hersende du statut de conversa à celui de moniale cloîtrée ; Historia magistri Roberti, dans Les deux vies…, p. 172 : « Constituit igitur ex sororibus unam responsis et operibus assistricem et magistram, Hersendim nomine, quae, spreta sua qua praelucebat nobilitate, choris foeminarum adhaeserat, imo prior conversa fuerit. Vivebat autem Hersendis et magnae religionis et magni pariter consilii ».
32 Donationes 1, éd. Patrologia latina, t. CLXII, col. 1095B. Voir aussi les indices du Grand cartulaire de Fontevraud [GC], éd. Jean-Marc Bienvenu, avec Georges Pons et Robert Favreau, 2 t., Poitiers, 2000-2005 (Archives historiques du Poitou, 63), en part. t. II, p. 989.
33 Eadmer, Historia novorum in Anglia, éd. Martin Rule, dans Eadmeri Historia novorum in Anglia et opuscula duo, Londres, 1884, p. 240-241 ; voir Sally Vaughn, St. Anselm and the Handmaidens of God. A Study of Anselm’s Correspondence with Women, Turnhout, 2002, p. 10-13.
34 Werner Robl a lancé cette hypothèse dans Heloisas Herkunft. Hersindis Mater, Munich, 2001, résumée dans son chapitre, « Hersindis Mater. Neues zur Familiengeschichte Heloisas mit Ausblicken auf die Familie Peter Abaelards », dans Peter Abaelard. Leben, Werk, Wirkung, éd. Ursula Niggli, Fribourg-en-Brisgau, 2003, p. 25-89. Au Paraclet, on faisait mémoire de la mort de la mère d’Héloïse à la date du 1er décembre : « Hersindis mater domine Heloise abbatisse nostre », voir Obituaire du Paraclet, éd. Armand Boutillier du Retail et Pierre Piétresson de Saint-Aubin, Obituaires de la province de Sens, t. IV : Diocèses de Meaux et de Troyes, Paris, 1923, p. 428. L’obituaire de Saint-Jean-en-Vallée, Chartres, signale la mort de Hersende, moniale de Fontevraud, au 1er décembre tandis que celui de Saint-Père-en-Vallée à Chartres l’indique au 29 novembre. Celui de Fontevraud le signale au 30 novembre, connu seulement par Gallia Christiana, t. II, Paris, 1720, col. 1313. Robl (p. 89) note que Hersende de Fontevraud avait une arrière-grande-mère nommée Héloïse, fille d’Odon, comte de Blois, Tours, Chartres et Troyes, et une grande-mère, Érembourg de Montmorency. Tandis que Robert-Henri Bautier a reconnu que le témoignage du xviie siècle selon lequel Héloïse est liée à la famille de Montmorency convenait à leur rôle de gardiens d’Argenteuil, il a supposé que la mère d’Héloïse a eu accès à Argenteuil par le père d’Héloïse qu’il a cru (sans preuve) être soit de la famille de Montmorency soit de celle de Beaumont, toutes deux étant alliées aux frères de Garlande : « Paris au temps d’Abélard », dans Abélard en son temps, éd. Jean Jolivet, Paris, 1981, p. 75-77. Theodore Evergates a développé l’hypothèse de Bautier selon laquelle les liens d’Héloïse avec Argenteuil viennent de son père, en suggérant que le père appartenait à la famille de Garlande, dans « Nobles and knights in twelfth-century France », dans Cultures of Power. Lordship, Status, and Process in Twelfth-Century Europe, éd. Thomas N. Bisson, Philadelphie, 1995, p. 11-35, part. p. 22 et 24 et « Aristocratic women in the county of Champagne », dans Aristocratic Women in Medieval France, éd. Theodore Evergates, Philadelphie, 1999, p. 106. Guy Lobrichon a suivi cette hypothèse sur le père d’Héloïse dans Héloïse. L’amour et le savoir, Paris, 2005, p. 121-125. Voir Constant J. Mews, « Robert of Arbrissel and Hersende » (voir supra, n. 1).
35 Roscelin qualifie Fulbert de « nobilis » dans Epistula ad Abaelardum, éd. Joseph Reiners, dans Der Nominalismus in der Frühscholastik, Münster, 1910 (Beiträge zur Geschichte der Universalienfrage im Mittelalter, 8/5), p. 78 : « Tu vero viri illius nobilis et clerici, Parisiensis etiam ecclesiae canonici, hospitis insuper tui ac domni, et gratis et honorifice te procurantis non immemor… ».
36 La parenté entre Guillaume de Montfort et Bertrade n’empêcha pas Yves de Chartres de soutenir la nomination de Guillaume, qui avait l’appui ferme de Philippe Ier, Lettres, n° 43 et 50, éd. Jean Leclercq, Paris, 1949, p. 172-174 et 204.
37 Jean Dufour, Recueil des Actes de Louis VI roi de France (1108-1137), t. I, Paris, 1992, n° 75 et 153, p. 168-169 et 317-18, en partie à partir de fragments transcrits d’une histoire de Chartres rédigée au xixe siècle par Lejeune (ms. 1120, détruit en 1944).
38 Ce sceau, connu par une copie du xviie siècle, est étudié par Brigitte Bedos Rezak, « Women, seals and power in medieval France, 1150-1350 », dans Women and Power in the Middle Ages, éd. Mary Elder et Mary-Ann Kowalewski, Athènes, 1988, p. 61-82, part. p. 63-64. Sur l’usage croissant des sceaux au xiie siècle, voir Jean-Luc Chassel, « L’usage du sceau au xiie siècle », dans Le xiie siècle. Mutations et renouveau en France dans la première moitié du xiie siècle, éd. Françoise Gasparri, Paris, 1994, p. 61-90.
39 Supplementum Historiae Vitae Roberti, dans Les deux vies…, p. 212-220.
40 J. Dufour, Recueil des actes…, n° 155, t. I, p. 319-321.
41 Theologia « Summi boni », II, 75, éd. Eligius Buytaert et Constant J. Mews, Turnhout, 1987 (Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis, 13), p. 140 : « Responde tu michi, astute dialectice seu uersipellis sophista ».
42 Les deux vies…, p. 18-77.
43 Les deux vies…, p. 626-27.
44 Sur l’expansion de Fontevraud en Normandie, voir Jean-Marc Bienvenu, « L’Ordre de Fontevraud et la Normandie au xiie siècle », dans Annales de Normandie, t. 35, 1985, p. 3-15. Les premières fondations anglaises commencent au milieu du xiie siècle
45 Orderic Vital, Ecclesiastical History, 4, éd. Marjorie Chibnall, dans Historia Ecclesiastica. The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, t. VIII, Oxford, 1980, p. 332.
46 Thibaud d’Étampes, Epistola ad Roscelinum, éd. T. Boehmer, Monumenta Germaniae historica, Libelli de Lite, t. III, Hannover, 1897, p. 603-607 (voir aussi Patrologia latina, t. CLXIII, col. 767-770).
47 Les manuscrits London, Lambeth Palace 176, et sa copie, London, Lambeth Palace 360, proviennent tous les deux de Llanthony. Sur Roscelin comme auteur de ce commentaire, qui développe celui attribué à Brunon de Chartres, voir Constant J. Mews, « Bruno of Rheims and Roscelin of Compiègne on the psalms », dans Publications of The Journal of Medieval Latin, t. II : Latin Culture in the Eleventh Century. Proceedings of the Third International Conference on Medieval Studies, Cambridge, September 9-12 1998, éd. Michael W. Herren, C. J. McDonough et Ross G. Arthur, Turnhout, 2002, p. 129-152. Est una de Roscelin, peut-être la rétractation qu’il a écrit après le concile de Soissons, se trouve à côté du premier livre de la Theologia christiana d’Abélard dans Durham, Cathedral Library A.IV.15 ; voir Constant J. Mews, « St Anselm and Roscelin : some new texts and their implications. II. An essay on the trinity and intellectual debate, 1080-1120 », dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen âge, t. 65, 1998, p. 39-90 ; réimpr. dans Reason and Belief in the Age of Roscelin and Abelard, Aldershot, 2002 (Variorum Collected Studies Series).
48 Abélard, Dialectica, éd. Lambert Marie De Rijk, dans Petrus Abaelardus. Dialectica. 1st complete edition of the parisian manuscript, Assen, 1970 (2e éd.), p. 554 : « Fuit autem, memini, magistri nostri Roscellini tam insana sententia ut nullam rem partibus constare vellet, sed sicut solis vocibus species, ita et partes adscribebat ».
49 Sermo Domni Roberti 1, dans Les deux vies…, p. 460.
50 Sermo 8, ibid., p. 466.
51 Sermo 15, ibid., p. 472 : « Id est, cum bonum feceris, quod intelligur per “dexteram”, non intentione humanae laudis facias, quod intelligitur per “sinistram” ».
52 Sermo 16 et 17, ibid., p. 474 : « Non attendit Deus ad verba, sed ad cor deprecantis. Omnia opera bona justi oratio est. Semper corde orare possumus, non semper voce. Scriptum est in Evangelio : Nollite multum loqui in oratione, sicut etnici qui putant exaudiri in multiloquio suo […]. Clerici sunt multi hipocritae ; monachi et heremitae, ut placeant hominibus, longas orationes simulant, “ut videantur ab hominibus” ».
53 Orderic Vital, Ecclesiastical History 4, éd. Marjorie Chibnall, dans Historia Ecclesiastica. The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, t. VIII, Oxford, 1980, p. 332. Sur la chronologie de la fondation de Savigny et Neufbourg (daté à 1115), voir Jacqueline Buhot, « L’abbaye normande de Savigny, chef d’ordre et fille de Cîteaux », dans Le Moyen Âge, t. 7, 1936, p. 1-19, 104-121, 178-190, et 249-272.
54 Baudri, Carmina, 195, 4, éd. Karlheinz Hilbert, dans Baldricus Burgulianus, Carmina, Heidelberg, 1979, p. 262, n° 195, v. 14.
55 J’émets cette hypothèse dans Abelard and Heloise, New York, 2005 (Great Medieval Thinkers), p. 151.
56 Abélard, Historia calamitatum, éd. Jacques Monfrin, Paris, 1967, p. 101 : « In quo nec invidie mihi murmur defuit, et quod me facere sincere sincera karitas compellebat, solita derogantium pravitas impudentissime accusabat, dicens me adhuc quadam carnalis concupiscientiae oblectatione numquam paterer ». Le texte latin des lettres I-VII est édité avec la traduction de Jean de Meung par Eric Hicks, La vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame, Paris, 1991. Le texte latin des lettres I-VIII (y compris la règle), ainsi que la lettre IX et d’autres textes relatifs à Abélard et Héloïse est utilement fourni (d’après une édition antérieure) avec une traduction italienne annotée d’Ileana Pagani, avec des réflexions sur la transmission de leur texte par Giovanni Orlandi, Epistolario di Abelardo ed Eloisa, Turin, 2004. Voir aussi l’édition nouvelle et traduction française de la correspondance complète d’Héloïse et Abélard (lettres I-VIII) : Éric Hicks et Thérèse Moreau, Lettres d’Abélard et Héloïse. Texte établi et annoté, Paris, 2007 (Lettres gothiques).
57 Abélard, Historia calamitatum, éd. Monfrin, p. 105 : « Unde non mediocriter miror consuetudines has in monasteriis dudum inolevisse, quod quemadmodum viris abbates, ita et feminis abbatisse preponantur, et ejusdem regule professione tam femine quam viri se astringant, in qua tamen pleraque continentur que a feminis tam prelatis quam subjectis nullatenus possunt adimpleri. In plerisque etiam locis, ordine perturbato naturali, ipsas abbatissas atque moniales clericis quoque ipsis, quibus subest populus, dominari conspicimus, et tanto facilius eos ad prava desideria inducere posse quanto eis amplius habent preesse, et jugum illud in eos gravissimum exercere ; quod satiricus ille [Juvenal, Satires 6, 460] considerans ait, “Intolerabilius nichil est quam femina dives” ».
58 Cartulaire de l’abbaye du Paraclet, éd. Charles Lalore, Collections des principaux cartulaires du diocèse de Troyes, t. II, Paris, 1878, p. 1-3.
59 Lettre 7, Patrologia latina, t. CLXXVIII, col. 238D-239A ; voir aussi la Règle d’Abélard, éd. Terrence P. McLaughlin, « Abelard’s rule for religious women », dans Mediaeval Studies, t. 18, 1956, p. 241-292, part. p. 267 ; trad. anglaise par Vera Morton, dans Guidance for Women in 12th-Century Convents, Woodbridge, 2003, p. 52-95, part. p. 70. Dans sa traduction de la Règle, Batty Radice traduit diaconissa par « abbesse », même dans l’édition révisée, The Letters of Abelard and Heloise, Londres, 2003, p. 145 et p. 277, n. 48.
60 Mary Martin McLaughlin, « Peter Abelard and the dignity of women : twelfth century “Feminism” in theory and practice », dans Pierre Abélard - Pierre le Vénérable. Les courants philosophiques, littéraires et artistiques en Occident au milieu du xiie siècle, Paris, 1975, p. 287-333 ; Alcuin Blamires, « Caput a femina, membra a viris : gender polemic in Abelard’s letter “On the authority and dignity of the nun’s profession” », dans The Tongue of the Fathers. Gender and Ideology in Twelfth-Century Latin, éd. David Townsend and Andrew Taylor, Philadelphie, 1998, p. 55-79 ; Barbara Newman, « Authority, authenticity and the repression of Heloise », dans Journal of Medieval and Renaissance Studies, t. 22, 1992, p. 121-157, réimpr. dans ead., From virile woman to woman Christ. Studies in Medieval Religion and Literature, Philadelphie, 1995, p. 19-45. Guy Lobrichon, Héloïse. L’amour et le savoir, Paris, 2005, part. p. 258-282 : « Le monastère d’Héloïse ». Voir la charte du 17 juin 1145, Cartulaire de l’abbaye du Paraclet, éd. C. Lalore, dans Collections des principaux cartulaires…, p. 3-4.
61 Fiona Griffiths, « “Men’s duty to provide for women’s needs” : Abelard, Heloise, and their negotiation of the cura monialium », dans Journal of Medieval History, t. 30, 2004, p. 1-24. Je remercie Fiona Griffiths de m’avoir permis de lire son étude : « The cross and the cura monialium : Robert of Arbrissel, John the evangelist, and the pastoral care of women in the age of reform », dans Speculum, 2008, n° 83, p. 303-330.
62 Fiona Griffiths, « Bride and Dominae : Abelard’s Cura monialium at the Augustinian monastey of Marbach », dans Viator, t. 34, 2003, p. 57-88.
63 Voir Carl Kelso Jr., « Women in power : Fontevrault and the Paraclete compared », dans Comitatus : A Journal of Medieval and Renaissance Studies, t. 22, 1991, p. 55-69, et Bruce L. Venarde, « Praesidentes negotiis : abbesses as managers in twelfth-century France », dans Portraits of Medieval and Renaissance Living : Essays in Memory of David Herlihy, éd. Samuel K. Cohn Jr. et Steven A. Epstein, Ann Arbor, 1996, p. 189-205.