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[p. 101] Les actes de la chancellerie royale française sous les règnes de Louis VII (1137–1180) et Philippe Auguste (1180–1223)

Après les progrès réalisés au cours des règnes de Philippe Ier et surtout de Louis VI, tant en ce qui concerne l’organisation de la chancellerie qu’une certaine normalisation des actes issus de son activité, le règne de Louis VII et surtout de Philippe Auguste marquent, parallèlement à l’extension du domaine royal, à l’accroissement de l’autorité du souverain dans le royaume et à l’évolution des institutions, des étapes décisives.

Les actes du règne de Louis VII

Certes le début du règne de Louis VII ne fait que prolonger la situation existant à la fin de celui de son père. En effet, le notaire Algrin, qui avait été vice-chancelier au moment de la vacance de la chancellerie à deux reprises en 1127–1128 d’abord, puis un moment en 1132 peu avant le retour en grâce d’Etienne de Garlande, semble avoir pris en mains la chancellerie dans les dernières semaines du règne de Louis VI avant d’être nommé officiellement à la tête de la chancellerie dès l’avènement du nouveau roi : il ne fait que continuer les pratiques antérieures jusqu’à sa révolte et sa disgrâce de 1140. D’autre part, dans sa thèse sur les écritures sur des actes royaux de cette époque, FRANÇOISE GASPARRI a constaté qu’un scribe, dont elle avait vu la main sous Louis VI dès 1120, a poursuivi son travail dans les premières années du règne de son successeur. On a également remarqué que des actes sont encore écrits à ce moment par les destinataires selon une vieille habitude de la chancellerie royale.

Mais en 1140, le clerc berrichon Cadurc est nommé chancelier et il tiendra la chancellerie jusqu’en 1147. Or on constate que c’est précisément à partir de 1140 que se vérifie pour la première fois une influence directe des actes de la chancellerie pontificale, avec notamment la liaison caractéristique des lettres ct et st. En fait c’est seulement avec la nomination, comme chancelier, de Hugues de Champfleury, évêque de Soissons, que des progrès sérieux sont faits vers l’établissement de formes d’actes plus normalisées ; cela est sans doute à mettre en rapport avec la longue durée de son cancellariat (1150–1172) et avec son rôle qui semble essentiel dans la direction de la politique royale. Celle-ci se marque notamment dans le domaine des relations avec la papauté et dans la conduite des affaires ecclésiastiques, comme cela ressort de l’exceptionnel registre de sa correspondance qui nous a été conservé. Une dernière période s’ouvre dans le règne avec la disparition de Champfleury, qui provoque une longue vacance de la chancellerie et, finalement, la vacance définitive de la charge de chancelier de France.

[p. 102] Le scellement des actes marque assez bien les hésitations d’une diplomatique qui se cherche. Louis VII est le premier souverain capétien, d’une part, à renoncer définitivement au sceau plaqué et cela, dès le début de son règne (ce qu’avait déjà innové son père vers 1134) et, de l’autre, à utiliser un contre-sceau. L’apparition de celui-ci est due à une circonstance particulière : roi de France, Louis VII était aussi, par son mariage avec Aliénor, duc d’Aquitaine. Aussi, comme d’autres souverains de cette époque, inaugure-t-il, dès son avènement, le système d’un sceau pendant biface : si le droit, le présente en majesté avec son titre royal, le revers le montre selon le type équestre, avec la légende et dux Aquitanorum. Il va le conserver jusqu’en 1154, donc après son divorce de 1152, avant d’en revenir au type traditionnel uniface. Puis une autre innovation apparaît  : l’apposition de son petit sceau personnel en contre-sceau du grand sceau de majesté : il semble, que ce soit pendant la vacance de la chancellerie, que le roi se méfiant de son entourage et prétendant contrôler lui-même l’expédition de ses actes, a entendu marquer ainsi son intervention lors du scellage. C’est d’abord une petite intaille qu’il avait certainement rapportée de sa croisade en Terre Sainte : il s’agissait d’un « abraxas », curieuse figure à tête de coq et à queue de serpent, tenant un bouclier et un fouet, figuration dont on a signalé divers exemplaires datant des premiers siècles de notre ère et qui aurait été honoré par une secte du Proche-Orient. Puis, en 1175, il adopte un autre contre-sceau, une autre intaille antique représentant une Diane chasseresse, avec la légende Ludovicus rex. Enfin, dernière innovation, pendant la durée de sa croisade, les actes furent expédiés et scellés par les « régents du royaume ».

D’autre part, si la chancellerie de Louis VII a, d’abord, poursuivi le mode de scellement paternel – les courroies ou lanières de cuir blanc-, s’il a également recouru à des attaches faites de cordonnets de fil ou de soie ou encore à des doubles queues de parchemin, on constate que dès 1137 les flots de soie font leur apparition à la chancellerie, passant tantôt par deux incisions, tantôt par une incision unique tréflée ou bien encore en forme de losange ou de triangle. Ces flots furent de couleurs diverses, vertes, jaunes, vertes et jaunes, rouges, rouges et vertes, vertes et brunes… Cela coïncide, d’une part, avec l’apparition de la soie d’origine orientale sur le marché du textile, mais ce fait souligne bien, d’autre part, qu’aucune signification précise n’était encore attachée à l’emploi d’une couleur donnée.

Le diplôme demeure encore le type d’acte royal de très loin le plus employé par la chancellerie royale. Toutefois, d’autre types documentaires qui avaient fait leur apparition sous les deux règnes précédents, la lettre patente, le mandement et la lettre missive, tendent à prendre une place nettement plus importante parmi les écritures royales, à mesure que les institutions deviennent plus complexes et que se développent les interventions de l’autorité du roi dans des domaines qui lui demeuraient précédemment à peu près étrangers.

[p. 103] Le diplôme royal

Le diplôme de Louis VII ne fait que reprendre, dans l’ensemble la tradition du diplôme royal des premiers Capétiens. Il commence normalement par l’invocation sous sa forme désormais classique : In nomine sanctae et individuae Trinitatis, amen. La suscription royale, qui suit en général l’invocation verbale mais est quelquefois rejetée après le préambule, sinon après la notification, est encore parfois précédée de Ego, mais cette forme se fait plus rare et disparaît dans les dernières années du règne ; en revanche, et il convient de le rappeler, jusqu’en 1154 le roi a constamment adjoint à sa titulature royale les mots et dux Aquitanorum.

Sous l’influence pontificale, l’adresse en vient à s’accompagner des mots in perpetuum, et le préambule, sauf dans un petit nombre d’actes a tendance à disparaître. La notification, universelle, adopte la forme : Notum facimus tam presentibus quam futuris ou bien Sciant omnes tam futuri quam presentes. Dans le dispositif, la mention de l’avis ou du conseil des grands du royaume se fait moins fréquente que sous les règnes précédents et même disparaît à la fin du règne.

Les clauses comminatoires, déjà rares sous Louis VI, disparaissent, sauf cas exceptionnels. La clause de réserve salvo iure alieno fait son apparition en 1167 et 1169 ; elle est rare encore, mais elle se rencontre plus fréquemment vers la fin du règne.

La formule de corroboration, avec référence à la valeur perpétuelle de l’acte, commence par annoncer trois éléments : la mise par écrit, le sceau et le monogramme (Quod ut perpetue stabilitatis obtineat munimentum, scripto commendavimus et sigilli nostri auctoritate et nominis nostri karaktere subterfirmavimus), mais ensuite l’ordre de mise par écrit disparaît de la formulation, et la clause finale devient : Quod ut stabile firmumque perpetuo perseveret (ou une formulation voisine) presentem cartam sigilli nostri auctoritate ac regii nominis karaktere subter annotato fecimus confirmari.

La formule de datation – et c’est là un trait nouveau du règne – se place toujours après la formule de corroboration qu’elle coupe en deux en attirant à elle la liste des grands officiers, selon le schéma Actum publice apud X, anno etc., astantibus in palatio nostro quorum nomina sunt et signa… Leurs noms sont précédés de Signum ou d’un S barré, ce qui ne signifie nullement la présence effective de ces personnages à l’acte, mais l’indication qu’ils sont alors en charge de leur office. Si cette charge n’est pas affectée, le signum est remplacé par la mention de vacance (ainsi dapifero ou constabulario nullo) ou bien, parfois mais rarement, se rencontre une formule plus développée. Quant à la date proprement dite, elle comporte l’an de l’Incarnation, normalement exprimé selon le style de Pâques, et l’année du règne, comptée à partir de la mort de Louis VI (1er août 1137), mais il semblerait que la date de quelques rares actes ne pourrait s’expliquer, dans ce cas, que si le point de départ des années du règne a été calculé – fort occasionnellement – à partir du 25 octobre 1131 (sacre du vivant de Louis VI par le pape Innocent II) et surtout à compter de janvier 1134 (qui fut le moment où Louis, ayant atteint sa 15e année, fut armé chevalier)1.

[p. 104] Quant au monogramme royal, désormais toujours uniforme, il prend normalement place à la dernière ligne du texte, encadré par la souscription de chancellerie, celle-ci imitée de la chancellerie pontificale : Data per manum N. (monogramme) cancellarii ou la formule en tenant lieu : Data vacante (monogramme) cancellaria.

Les lettres patentes ou chartes du roi

Sous Louis VI étaient apparus des actes moins solennels que les diplômes  ; ce type d’acte, que l’on appellera lettres patentes ou, mieux, « chartes », se répand sous Louis VII, sans atteindre – et de loin – la fréquence qu’il aura sous Philippe Auguste. Des originaux en sont conservés. Ce sont des actes d’un format réduit, scellé sur double queue de parchemin. Leur écriture ne comporte pas d’éléments décoratifs et elle peut prendre un caractère cursif.

Normalement, un tel acte commence (sans invocation) par les mots Ego Ludovicus Dei gratia Francorum rex. Ne comportant ni adresse, ni salut (à la différence des mandements), le texte débute par une notification simple de caractère universel : Notum facimus universis quod (ou parfois omnibus in perpetuum). Sans monogramme royal, ni liste des grands officiers, la formule de corroboration annonce seulement le sceau. A la différence des simples « lettres », la charte a une date indiquant le lieu et l’an de l’Incarnation selon le type suivant : Actum Senonis anno Incarnati Verbi M°C° LXXI°, que suit la recognition de chancellerie, toujours exprimée par la formule : Datum per manum N cancellarii.

Toutefois un certain nombre de ces lettres ne comportent ni date, ni recognition de chancellerie, tandis qu’on rencontre, tout au contraire, d’autres lettres qui ont date, annonce du sceau, souscription de chancellerie, mais avec une adresse, comme telle lettre de 1155 adressée par le roi à ses prévôts pour qu’ils assurent la franchise de passage sur ses terres à l’abbaye d’Igny2. Autre exemple : un acte par lequel le roi invite tous ses agents (omnibus prepositis ministris suis) à agir en sorte que le chapitre de Notre-Dame de Paris n’ait point lieu de se plaindre : cet acte, qui était scellé sur double queue, comporte un salut initial (Salutem) et final (Valete), mais point de date3. On est alors à l’origine même d’un type d’acte qui va se multiplier sous Philippe Auguste à partir de 1185 et qui dominera dès le début du XIIIe siècle, mais qui hésite encore visiblement entre la future lettre patente et le mandement.

Les mandements royaux

De même qu’on avait déjà relevé quelques « mandements », actes de forme encore assez incertaine et se distinguant mal de la charte, sous les règnes de Philippe Ier et de Louis VI, la chancellerie de Louis VII commence à expédier de véritables mandements pour l’expédition d’ordres de nature administrative. Un excellent exemple, conservé d’ailleurs en original, est celui par lequel le roi notifie à l’ensemble de ses prévôts et de ses sergents (omnibus prepositis et servientibus suis) qu’il a pris sous sa protection les marchands qui se rendront à la foire de Puiseaux [p. 105] en Gâtinais et il leur enjoint (mandamus vobis et precipimus) de publier ce privilège dans les lieux de leur ressort. Cet acte comporte un salut, mais ni date ni formule de corroboration, et il est scellé sur simple queue, découpée au bas du parchemin, puis repassée par une incision au centre de la pièce4. On possède d’ailleurs un certain nombre d’exemples analogues sous forme de copie, notamment un mandement assez caractéristique relatif à l’abbaye de Chaalis. Ici encore, on est donc à la racine d’un type d’acte, le mandement scellé sur simple queue, qui va se multiplier dès le règne suivant.

Les lettres missives du roi

De Louis VII on a également conservé le texte – mais non l’original – de nombreuses lettres missives, le plus souvent de nature politique, adressées au pape, à l’empereur, à des évêques etc., avec le salut final caractéristique Vale, Valete. Elles nous ont été conservées en copie par le recueil de lettres de Hugues de Champfleury, le chancelier royal, dont le manuscrit original est aujourd’hui à la Bibliothèque Vaticane et dont le contenu a été publié au XVIIe siècle par ANDRÉ DUCHESNE5, mais sans respect de l’ordre de pièces.

Les actes du règne de Philippe Auguste

Le règne de Philippe Auguste marque un tournant des plus importants dans l’histoire de la chancellerie et dans la diplomatique des actes royaux français. C’est, en effet, de ce règne que date la vacance de la chancellerie, qui ne sera suspendue que pendant quelques années, après la fin du règne, au profit de Frère Guérin, évêque de Senlis : des vacances s’étaient déjà produites sous le règne de Louis VI et de Louis VII, mais c’est Philippe Auguste qui cesse de nommer un chancelier, avec toutes les prérogatives de cette charge, pour confier la direction du bureau d’écriture et de scellage des actes royaux à un « garde de la chancellerie » (custos sigilli). C’est avec son règne, d’autre part, que commence vers 1200 la tenue de registres de la chancellerie, sans que pour cela – bien au contraire – on puisse parler d’un enregistrement systématique des actes. Enfin la typologie des actes royaux prend, vers 1190, un caractère plus strict que précédemment, même si on doit admettre que les différents types d’actes existaient déjà dès le règne précédent, mais avec une variabilité beaucoup plus grande dans la présentation ou la formulation.

Les actes royaux peuvent dès lors se classer en grandes catégories : les diplômes, les chartes, les lettres patentes et les mandements, en laissant de côté les lettres missives que l’on doit supposer s’être dès lors multipliées, mais que la condition de la conservation des archives ne nous permet plus guère aujourd’hui d’être prises en considération.

[p. 106] Le diplôme et la charte

La distinction typologique fondamentale entre le diplôme et la charte apparaît très nettement dans le cas suivant, où un même acte a fait l’objet d’une double expédition sous deux formes diplomatiques différentes. Il s’agit de la confirmation par le roi d’une vente faite à l’abbaye de Saint-Germain des Prés de l’avouerie d’Esmans, tenue en fief du roi, ainsi que d’un droit d’usage sur les bois dont une enquête avait prouvé que cet avoué était le seul à jouir. Ces deux expéditions6, rédigées simultanément, à Paris en 1203, sont toutes deux scellées de cire verte sur lacs de soie rouge et verte, mais leurs formes diplomatiques sont différentes :

– dans l’exemplaire sous forme de diplôme, la première ligne est toute entière occupée par une invocation à la Trinité, suivie de la souscription royale et elle est écrite en caractères allongés ; à la fin il comporte la date de lieu, l’année de l’Incarnation (sans mois ni quantième) et l’année du règne, ainsi que la liste des grands officiers sous la forme apparue sous le règne précédent (Astantibus in palatio nostro…) ; au pied de la pièce, s’étale sur toute une ligne la recognition de chancellerie encadrant le monogramme royal : Data vacante (monogramme) cancellaria, chaque syllabe ou groupe des syllabes étant séparé de la précédente par un blanc, et au-dessous, en petits caractères : per manum fratris Garini.

– l’autre exemplaire sous forme de charte, d’une teneur identique, est d’un format nettement plus petit ; elle n’a point de caractères allongés et elle est dépourvue d’invocation initiale. Elle comporte, au contraire, une adresse universelle suivie d’un salut (Universis ad quos littere presentes pervenerint, salutem) et la notification est brève : Noscitis quod. La date se limite au nom de lieu et à l’an de l’Incarnation, sans l’an du règne ni la liste des grands officiers, mais elle comporte l’indication du mois (sans le quantième) et elle ne comporte ni mention de chancellerie, ni monogramme royal.

Cet exemple montre que la forme du diplôme est définitivement fixée. L’invocation verbale est de règle : In nomine sanctae et individuae Trinitatis, et il n’y a pas d’adresse. Une formule de corroboration fait état de la finalité perpétuelle de l’acte, généralement exprimée ainsi : Quod ut perpetuum robur obtineat, suivie de l’annonce du sceau et du monogramme désigné par les mots regii nominis karakter. Il s’y trouve, en outre, très fréquemment une formule générale de réserve : salvo iure nostro ou bien salvo iure alieno ou encore cette double formulation. Liée à la date où l’année de l’Incarnation est exprimée selon le style de Pâques et celle du règne est comptée à partir du sacre royal (1er novembre 1179) et non pas de la mort de Louis VII en 1180 – la liste des grands officiers (commençant par la fiction de l’assistance : Astantibus in palatio nostro) continue à figurer. Au bas du diplôme est la mention Datum per manus N. (accompagnée de la mention éventuelle de la vacance de la chancellerie : Vacante cancellaria).

Si, au début du règne et jusque vers 1190, les caractères respectifs du diplôme et de la charte et ceux de la charte et de la lettre patente ne sont pas encore toujours fixés d’une manière absolument stricte, par la suite la distinction devient de plus en [p. 107] plus nette. Normalement, la charte – que la chancellerie désignera officiellement comme des « lettres patentes en forme de charte » et finalement de « charte » – ne comporte pas d’invocation et elle commence directement par la suscription royale ; l’adresse et le salut se font progressivement exceptionnels, mais elle présente toujours une notification universelle et perpétuelle (Notum facimus universis presentibus et futuris) suivie d’une formule de perpétuité (in perpetuum), le préambule n’existant désormais que dans les actes de forme particulièrement solennelle. Mais il y a généralement une formule de corroboration de type perpétuel comportant l’annonce du sceau. Le date comporte le lieu, l’année de l’Incarnation (mais non celle du règne) et le mois ; la charte s’achève par la mention de la recognition de chancellerie (exprimée par vacante cancellaria). Le sceau de cire verte, qui a pu au début du règne, pendre à une queue, généralement double, de parchemin, l’est ensuite régulièrement à des lacs de soie, dont la couleur ne semble pas avoir été fixée ; tantôt rouge, tantôt rouge et jaune ou rouge et verte, celle-ci l’emportant définitivement vers la fin du règne.

La lettre patente

La lettre patente, qui sous Louis VII se distinguait mal de la « charte  », s’en détache progressivement sous Philippe Auguste. Elle garde l’allure épistolaire, avec une adresse universelle et un salut, mais sans aucune référence à une notion de perpétuité : Universis presentes litteras inspecturis salutem ou bien Noverint universi. La formule de corroboration est souvent absente ; quand elle existe, elle ne comporte aucune allusion à la valeur perpétuelle de l’acte. Le sceau est normalement de cire jaune qui, appendu le plus souvent à une courroie de cuir blanc, devient à la fin du règne, une double queue de parchemin.

Ainsi naît ce qui sera une des formes classiques d’un type d’acte de la chancellerie royale française : la lettre patente scellée de cire jaune sur double queue de parchemin, passant par des incisions percées dans un repli de la pièce. A partir de 1190 et surtout de 1200, chartes et lettres patentes l’emportent nettement en nombre sur les diplômes, qui constituaient auparavant le mode le plus usuel de l’expression écrite de la volonté royale.

Le mandement

Le mandement est un acte par lequel le roi entend communiquer un ordre à des officiers ou à des dépendants, vassaux ou autorités municipales. Il est écrit d’une plume rapide et sans fioritures sur un morceau de parchemin, généralement de petite dimension et il est scellé désormais d’un sceau de cire jaune sur simple queue de parchemin découpée au pied de la pièce. Ce sceau était de même type que celui qui scellait les actes plus solennels, mais au cours du règne, et sans doute à mesure que s’accroissait le nombre de ces actes « administratifs », on utilisa une matrice d’un diamètre légèrement plus réduit que le grand sceau.

[p. 108] Le mandement comporte une adresse particulière ou collective et un salut. Sans notification, l’acte exprime directement et brièvement l’ordre royal, généralement marqué par les mots mandamus tibi (ou vobis) ou vobis mandantes praecipimus ou encore interdicimus. Il ne comporte ni formule de corroboration ni mention de chancellerie, et il s’achève par une date de lieu et de l’an de l’Incarnation, avec indication du mois (sans quantième).

Les actes bullés d’or

Philippe Auguste – dont le surnom qui lui fut donné n’est certainement pas innocent – fut l’un des seuls souverains français à utiliser, dans des circonstances exceptionnelles, une bulle d’or, et il faut y voir sans aucun doute son désir de rivaliser avec l’empereur, notamment Frédéric Barberousse qui avait fait expédier un certain nombre de ses bulles d’or pour diverses églises de la « région d’entre deux », entre le Rhône et des Alpes. Nous n’avons pas conservé d’actes originaux ainsi scellés, mais deux mentions d’actes perdus sont à cet égard révélateurs. L’une se rencontre dans la réponse qu’adressa à Philippe Auguste le prince de Galles Llywelyn le Grand, en se référant à ses lettres ainsi bullées : litteras vestras sigillo aureo impressas7 pour confirmer l’alliance entre les deux pays. L’autre allusion se trouve dans une lettre adressée à Alphonse de Poitiers le 24 mars 1254 : tres cartas de imperatore et unam de… rege Francorum Philippo, in auro sigillatas8.

Dans le domaine du sceau, Philippe Auguste innova également en adoptant régulièrement, dès son avènement, un contre-sceau dont le type – sans légende – fut la fleur de lys. Celle-ci était unique, type que son petit-fils saint Louis devait reprendre, alors que Louis VIII usa de l’écu de France au semis de fleur de lys.

Le sceau de régence

Lorsque Philippe Auguste partit pour la croisade de 1190–1191, il emporta son grand sceau et se fit accompagner de son garde du sceau qui en scella divers actes au cours de la campagne. Mais avant son départ il avait organisé le fonctionnement de l’administration du royaume et de la chancellerie en son absence. Le contrôle de l’usage du sceau – et donc de l’expédition des actes – fut alors confié à un conseil formé de six grands bourgeois de Paris, chargés par ailleurs de veiller à la régularité des affaires financières9. Les actes furent intitulés au nom du roi et sous la même forme que lorsque le souverain était présent dans le royaume, mais il est alors indiqué nettement qu’ils ont été dressés in presentia nostrorum burgensium qui sigillum nostrum custodiunt, ou bien sub testimonio nostrorum burgensium, ou encore coram burgensibus nostris. En outre dans nombre d’actes étaient indiqués les noms des bourgeois présents, dont beaucoup nous sont connus par divers actes de l’époque, notamment Thibaut le Riche, Ébrouin le Changeur, Athon de la Grève etc., ainsi que ceux d’officiers royaux tels que le chambellan André, le maréchal Pierre, le clerc Nicolas ou Robert de Chartres. Certains actes mentionnent encore [p. 109] que le manquement à leur contenu entraîneraient les mêmes sanctions que s’ils émanaient du roi lui-même10.

Pour le scellement de ces actes avait été gravé un nouveau sceau, de type analogue à celui du grand sceau, mais d’un diamètre un peu inférieur ; mais il est surtout à noter qu’on lui donna pour contre-sceau une aigle aux ailes éployées, qui montre là aussi le désir du roi de se donner l’image d’un roi « empereur en son royaume ». Ce fait est encore à rapprocher du sceau royal qui fut également institué à Paris et dans plusieurs prévôtés pour valider les contrats passés entre Juifs et chrétiens : en effet, ce « sceau aux Juifs » (sigillum Judeorum) était aussi une aigle essorant, premier sceau d’une juridiction royale, dont l’usage devait durer une vingtaine d’années.

On voit par toutes ces observations l’importance qu’a revêtue dans l’histoire de la diplomatique royale française le règne de Philippe Auguste, avec la multiplicité des types d’actes royaux, avec la prédominance de la charte par rapport au diplôme, avec l’établissement de règles plus régulières pour la forme et le scellement de la charte et du mandement, avec l’adoption du contre-sceau, avec le fonctionnement d’une chancellerie en l’absence du roi. Les années 1190–1200 ont donc été capitales dans l’évolution de la chancellerie royale, sans compter que vers 1200 la tenue de livres pour la conservation d’actes expédiés par la chancellerie ou concernant les droits et intérêts du roi – origine de la longue série des registres de la chancellerie – ouvrait une période nouvelle dans l’histoire de celle-ci et même, plus généralement, dans celle du gouvernement du royaume. Cela a correspondu à ce temps de mutations fondamentales qui, en tant d’autres domaines, politiques, institutionnels, économiques, religieux, intellectuels, artistiques, a vu, avec la reprise en mains du royaume, l’institution des baillis et la naissance de l’Université, une transformation profonde du royaume, un véritable tournant du Moyen Âge.

[p. 111]
1. 1145–1146. Louis VII pour Saint-Victor de Paris
[p. 112]
2. 1144–1145. Louis VII – Ordonnance pour les Juifs
[p. 113]
3. 1203, février. Philippe Auguste : deux expéditions du même acte

1

A titre d’exemples de la diversité de présentation des diplômes de Louis VII, je citerai trois actes :

  • ordonnance royale – un des premiers actes de cette nature – expédiée de Paris en 1144 (le roi, apprenant que des juifs convertis sont retournés au judaïsme, ordonne leur expulsion immédiate sous peine de mort ou de mutilation, si on les arrête) : l’acte est scellé d’un sceau de cire brune sur lanières de cuir blanc, avec repli de 16 mm. L’acte est dépourvu d’invocation initiale.
  • confirmation par le roi d’une donation faite aux Templiers de Poissy ; l’acte est expédié de Paris en 1162, est scellé de cire rouge sur une courroie de cuir tressé, avec repli de 20 mm.
  • confirmation par le roi de l’abandon fait à Saint-Victor de Paris, par un chevalier, de la grange de Châtillon ; l’acte, expédié de Bulles en 1175 est scellé de cire verte sur courroie de cuir blanc, avec repli de 42 mm et il est dépourvu des lettres allongées.

2 Cf. A. LUCHAIRE, Actes de Louis VII, n. 358.

3 Arch. nat., K 25 B n. 12 ; cf. LUCHAIRE, Actes, n. 779.

4 Arch. nat., K 23, n. 22 (11) ; cf. A. TARDIF, Cartons des rois, n. 484.

5 Republié dans le Recueil des historiens de France, t. XVI, p. 1–170.

6 Arch. nat., K 27, n. 8 : 1 a et b ; éd. Recueil des actes de Philippe Auguste, n. 744.

7 Arch. nat., J 655, n. 14 (= AE III 66).

8 Fac-similé de l’École des chartes, n. NF 287 (cf. CH.-V. LANGLOIS, Une lettre…, dans Bibliothèque de l’École des chartes, XLVI, 1885, p. 589–593).

9 Parisius sex homines probos et legitimos constituimus, quorum nomina sunt haec : T. A. E. R. B. et N.

10 tam corpore quam possessione merciam noverint incurisse.