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Grace normande en françois1

Charles, par la grace de Dieu roy de France, a tous ceulz etc. Savoir faisons nous de grace especial avoir octroyé a Tel et a sa femme que eulx, tant conjoinctement comme diviseement,en toutes leurs causes et quereles meues et a mouvoir contre tous leurs adversaires par devant tous juges seculiers de nostre royaume, en demandant et en defendant, soient receuz par procureur ou attourné souffisamment establi par procuracion ou attournee faicte ou a faire soubz leurs seel ou seaulz ou de leur seneschal, bailly, viconte, ou d'autre seel autentique, en parlement2, eschiquier et dehors jusques a un an ; et que icelui procureur ou attourné ainsi establi puisse requerir adjournement ou adjournemens, delivrance de namps3 et de fiefz, mouvoir et intenter toutes causes et quereles, icelles poursuir et mener a fin deue, faire claim ou claims de marchié de bourse4, prendre et recevoir brief ou briefs5, substituer et establir en lieu de lui ung ou pluseurs procureurs ou attournez qui ait ou aient semblable povoir, et generalment de faire et faire faire autant en toutes choses comme lesdiz Telz et chascun d'eulz feroient et faire pourroient se presens y estoient. Non obstant la coustume du païs a ce contraire. Donné etc.

[1.4.a] ¶ Nota que en une lettre de grace a plaidier par procureur en Normandie, y fault adjouster toutes ces clauses dessus escriptes, c'est assavoir par procureur ou attourné suffisamment fondé etc.

[1.4.b] * Et se celui ou ceulz qui veulent la grace sont nobles, communitez en eglises, evesques, abbez, chappitres ou autres gens qui aient seaulz autentiques, jurisdicion et justice soubz eulz, on y doit mettre ces motz par procuracion ou attournee faicte ou a faire soubz son seel ou seaulz ou du seel ou seaulz de son seneschal ou seneschaulx ou d'autre seel autentique, en parlement, eschiquier et dehors jusques a un an etc.

[1.4.c] * Et se c'est pour simples gens de village, marchans ou autres privees personnes, il ne fault mettre seulement que ces mots faicte ou a faire soubz seel autentique en parlement, eschiquier etc., pour ce qu'ilz n'ont pas seaulz et, s'ilz en ont, ne sont ilz pas congneuz ou approuvez.

[1.4.d] * Item nota que par cestes lettres de grace on ne seroit pas receu par procureur en cas de crime, ne la ou il y auroit adjournement a comparoir par procureur.


1 La formule se retrouve de façon presque identique dans une grâce à plaider par procureur délivrée le 5 août 1409 en faveur des maîtres, frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu de Paris (O.R.F., t. IX, p. 459-460). Cette lettre, bien que destinée à un établissement de Paris, porte la clause par procureur ou attourné loyaument estably par vertu de procuration ou attournee faicte ou affaire… en parlement, eschequier et dehors jusques a ung an à laquelle fait référence le nota [1.4a].
2 La référence au parlement dans la présente formule et dans la suivante pourrait paraître surprenante, puisque, en vertu de leur privilège, reconnu par la Charte aux Normands, l'Echiquier constituait pour les habitants de la province la dernière instance d'appel (Ferdinand Lot et Robert Fawtier, Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, t. II, Institutions royales, Paris, 1958, p. 490-493) et, de fait, les Normands défendaient âprement l'exclusivité de la juridiction de l'Echiquier (voir par exemple Vérité garde le roy, la construction d'une identité universitaire en France, XIIIe-XVe siècle, Paris, 1999 [Histoire ancienne et médiévale, 55], p. 151-158). La mention du parlement n'est pourtant ni une advertance du copiste, ni une innovation de Morchesne : on retrouve des formulations semblables dans les recueils antérieurs depuis le règne de Charles V.
3 Nant : caution, gage (Godefroy, t. V, p. 467-468) ; voir le long article namium dans Du Cange, t. IV, p. 598-599.
4 Le marché de bourse désignait, dans le droit normand, la possibilité pour un consanguin de racheter, à l'intérieur d'une année et au même prix, un bien patrimonial vendu à un étranger, et plus largement toute sorte de retrait.
5 Le bref ducal, puis royal, était en Normandie une pièce essentielle dans l'ouverture puis dans le cours de la procédure : Jean Yver, Le bref anglo-normand, dans Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, t. 29, 1961, p. 313-331.