École des chartes » ELEC » Le formulaire d'Odart de Morchesne » Defiances » Povoir sur finances
[fol. 161v]
[fol. 162]

Povoir sur finances1

Charles, par la grace de Dieu roy de France, a tous etc. Comme a l'assemblee que ou mois d'aoust derrenier passé fut faicte par nostre ordonnance en la ville de Selles en Berry2 de pluseurs de nostre sang et lignaige, des gens d'Esglise, nobles et bourgois desa bonnes villes des païs de Languedoïl a nous obeïssans, representans les gens des trois estaz, aprés ce que en nostre presence leur eusmes fait exposer et bien particulierement remonstrer les tres grandes charges et importables3 que continuelment nous survenoient et de jour en jour multiplioient pour la deffense de noz royaume et subgetz et pour les preserver comme faire devons de la subgection de noz anciens ennemis de ceste seigneurie qui, comme il est assés notoire, se sont si avant efforcez et de plus en plus s'efforcent violentement et inhumainement de usurper cestedicte seigneurie, que Dieu ne vueille, ausquelles charges, pour la grant diminucion du prouffit et seigneuriage de noz monnoiez qui sont de present, et generalment toutes noz autres revenues et dommaines comme de nulle valleur, neb nous estoitc possible de parfournir de nous mesmes sans le bon secours et aide de noz loyaulx vassaulx et subgetz, nous, par l'advis et assentement d'iceulx desdiz trois estaz illecques assistans, eussions ordonné pour subvenir aucunement ausdictes charges que jusques a trois ans prouchains a venir, a commencier du premier jour d'octobre nagueres passé, seroient dereschief mis sus, cueilliz et levez en nostredit royaume les aides qui ou temps passé furent ordonnez et y souloient avoir cours pour le fait de la guerre, et sur ce eussions fait faire et envoyer noz lettres pattentes pour chascun desdiz païs, et depuis soit venu a nostre congnoissance, par ce que nous ont fait dire et exposer pluseurs nobles et autres notables personnes d'iceulx païs, mesmement le païs d'Auvergne, que le peuple commun et grant partie des habitans desdiz païs seroient trop plus contensd, se s'estoit nostre bon gré et plaisir, de nous faire aide chascun an de certaine et competant somme de deniers par chascun desdiz trois ans a paier a aucuns termes porporcionnez4 que de paier iceulx aides en la forme et maniere que cueillir et paier se soloient, et le reputeroiente a maindre charge pour eulx tant pour les travaulx que leur ont aucunes fois donnez et pourroient encores faire et donner les officiers d'iceulx aides que pour pluseurs autres consideracions, savoir faisons que nous, [fol. 162v] qui tousjours avons desiré de toute affection solager et descharger nostredit peuple et que par toutes voyes tollerables le voulons en leur faveur ainsi faire et nous eslargir envers eulx ainsi que le pourrons mieulx porter et souffrir, pour cause de la bonne et recommandable voulenté que, comme par effect bien congnoissons, ilz ont tousdiz eue et ont envers nous et a nous secourir cordialement selon leur possibilité en toutes noz neccessitez et affaires, confians a plain des grans sens, preudommie, loyaulté et louable discrecionf de nostre amé et feal conseiller l'arcevesque de Thoulouse5, icellui de nostre certainne science et par la grant deliberacion de conseil avons commis, ordonné et deputég, commettons, ordonnons et depputons et en sa compaignie nostre amé et feal conseiller maistre Jehan de Troissy, bailli de Senliz6, et par ces presentes leur donnons auctorité et mandement de eulx transporter oudit païs d'Auvergne et pourh ceste cause faire assembler en aucunes des villes dudit païs les gens des trois estaz d'icellui païs affin de sur les choses dessusdictesi sentir et savoir plus a plain leur entencion et voulenté ; et ou cas que, aprésj les remonstrances que sur ce leur avons chargié leur faire de par nous, se condescendront a nous aidier d'aucune somme raisonnable par chascun desdiz trois ans, soit a deux, a trois ou a quatre termes, laquelle soit telle que raisonnablement nous en doyons contenter et laquelle doit souffirk pour leur quotte et porcion eu regart tant a la valeur desdiz aides, s'ilz avoient leur plain cours oudit païs, que aussi a la grandeur de noz presentes affaires et besoingnes, nous a nosdiz conseillers, tant ensemble que aussi audit archevesque seul et pour le tout, avons donné et donnons plain povoir de sur ce traicter, composer et appointer avecques icelles gens des trois estaz ; de accepter lesdictes sommes en recompensacion desdiz aides et en ces choses prendre final appoinctement avecques eulx et tout selon les instructions que leur avons sur ce baillees ; de faire cesser en ce cas le fait desdiz aides en icellui païs, non obstant toutes lettres et commissions que aurions pour ce faictes et donnees ; de mettre sus, diviser et tauxer ou imposer oul par certains commissaires telz que de present les vouldra et que bon lui semblera faire diviser, tauxer et imposer la somme ou sommes qui a ceste cause nous seront ainsi octroyees avecques telle autre somme moderee que besoing sera pour les fraiz pour ce neccessaires, en maniere que lesdictes sommes qui ainsi [fol. 163] nous seront octroyees viengnent ens franchement, lesquelz commissaires auront la congnoissance, jurisdicion et contraincte de tous les debaz et opposicions qui souldre7 pourroient a cause desdiz impostz ; de mettre aussi un ou pluseurs receveurs a cueillir et lever icelles sommes a telz termes que ordonné sera, lesquelz auront povoir de faire quant ad ce toutes manieres de contraincte tout ainsi que se par nous y avoient esté commis et ordonnez ; de tauxer tous gaiges, voyages et autres mises et despenses qui pour les choses dessusdictes, leurs circunstances et deppendences leur seront neccessaires ; et generaument de faire par lui et ses commis et depputez en ceste partie autant comme nous mesmes faire pourrions. Et tout ce que par lui aura ainsi esté fait, accordé et appoinctié touchans ces choses et leurs deppendences aurons agreable et, se mestier est, le confermerons et auctoriserons par noz lettres pactentes ainsi que requis en serons, sans aller ne venir au contraire en quelque maniere que ce soit. Et par rapportant vidimus de ces presentes avecques certifficacion sur ce de nosdiz conseillers ou dudit arcevesque seul, comme dit est, voulons et mandons tout ce que par son ordonnance apperra avoir esté ainsi payé par les commis a recevoir ledit don ou aide estre alloué en leurs comptes et rabatuz de leurs receptes partout ou mestier sera sans difficulté ou contredit. En tesmoing etc. Donné a Tours le […]m jour de decembre, l'an de grace mil CCCC vint et trois, et de nostre regne le second.


a de corrigé en des , ms.
b ne omis ms.
c seroit P.
d Le ms, suite à un oubli du copiste, donne seulement seroient trop, qui n'a pas de sens, tandis que MP portent seroient trop grevez, qui fait contresens ; nous suivons, en rétablissant plus contens, la leçon de S, reprise d'ailleurs par A. Thomas.
e reputer ms, corrigé avec P.
f discrection ms.
g depupté ms.
h de ms, corrigé d'après P.
i dessusdictes omis ms, rétabli d'après P.
j ou cas que aprés] et aprés que ms, corrigé d'après MPS.
k souffrir ms, corrigé d'après P.
l ou omis ms.
m Le ms ménage ici un blanc d'environ trois lettres.
1 Le formulaire de Morchesne est la source de l'édition de cet acte par Thomas, Les états provinciaux, t. II, p. 24-28. Par cet accord, les états d'Auvergne consentaient au roi sous forme de taille une aide de 20 000 livres tournois pour une période de trois ans (ibid., t. I, p. 185).
2 L'ordonnance donnée le 18 août 1423 à Selles en Berry (Selles-sur-Cher, Loir-et-Cher, ch.-l. cant.) a été publiée et commentée par Antoine Thomas, Les états généraux sous Charles VII, notes et documents nouveaux, dans R.H., t. 40, 1889, p. 55-88, aux p. 58-62.
3 Au sens de “pénibles”, “insupportables” (Godefroy, t. IV, p. 555).
4  Au sens de “proportionnés”, mais il n'y a pas lieu de corriger por- en pro-, la forme étant enregistrée par Godefroy, t. VI, p. 303.
5 L'archevêque de Toulouse était alors Denis du Moulin, promu à ce siège le 10 mars 1423. Sur sa carrière, Müller, Die Französen, t. I, p. 422-431.
6 En 1417, Jean de Troissy fut nommé pour administrer le bailliage de Senlis durant l'absence du bailli (Gallia regia, t. V, n° 20784). Il est de nouveau attesté dans cette charge en 1426 (Gallia regia, t. V, n° 20789, qui le montre familier du connétable de Richemont). En 1435, avec le chancelier Regnault de Chartres, Christophe d'Harcourt et Gilbert de La Fayette, Jean de Troissy apposa sa signature au bas d'un acte préparant le traité d'Arras ; en 1443, il était général des aides, charge qu'il occupa jusqu'en 1450 (Thomas, Les états provinciaux, t. I, p. 355).
7 Les sens de soldre proposés par Godefroy, t. VII, p. 450, ne conviennent pas. Nous comprenons plutôt que le mot serait à rapprocher de sourdre (pris au sens figuré pour “survenir”, “surgir”).